Nous étions presque arrivés – et fort heureusement car je ne supportais plus les pleurs provenant de l’arrière.
- Où est-ce qu’on se gare ? s’enquit Malcolm. Il n’y a plus de place.
- On s’en fiche, on ne va pas s’éterniser ici de toute façon. Mets-toi devant l’entrée.
Je n’eus plus qu’à ouvrir ma portière et à avancer de quelques pas pour rejoindre le perron. Je gravis les quelques marches et ouvris en grand les battants de la porte, Alex et Malcolm sur mes traces. La, nouvelle, femme de l’accueil eut l’air apeurée lorsqu’elle me vit, je ne doutais pas toutefois d’avoir l’air particulièrement effrayante étant donné la colère qui m’habitait à cet instant.
- Je peux vous aider ?
- Je veux voir Alice.
- Vous voulez dire Miss Osborn ? précisa-t-elle d’un air indigné.
Qui d’autre s’appelait Alice ici ? Je ne pris pas la peine de lui répondre.
- Elle est occupée pour le moment, elle ne peut pas vous recevoir.
Je soupirai un bon coup et enjambai le bureau de l’accueil pour rejoindre la porte qui menait aux quartiers de "Miss Osborn".
- Vous … Je ne vous ais pas donner l’autorisation ! s’écria la vieille femme. Et puis, tout est en travaux de l’autre côté de la porte !
Effectivement, l’entrée était bloquée et Alice m’avait parlé de son projet de rénovation. Ce soir, tout semblait fait pour me contrarier de toute manière. J’indiquai d’un bref hochement de tête à Malcolm et Alex que nous allions emprunter l’autre chemin, plus long et qui m’obligeai à passer par la salle de réception – étant donné les bruits qui me parvenaient je pouvais de plus en déduire qu’elle n’était pas vide.
Je sautai de nouveau le bureau et accordai un coup d’œil à sa propriétaire en me demandant pourquoi Alice l’avait choisi elle. Elle ne me plaisait pas. J’allais passer le rideau pour passer dans l’autre pièce quand on m’apostropha de nouveau.
- Où comptez-vous aller comme ça ? m’interrogea la femme.
- Voir Alice.
- Je viens de vous dire qu’elle ne pouvait pas vous recevoir !
Pour un peu, son dentier allait finir par tomber.
- Vous savez qui je suis ? lui demandai-je, prise d’un affreux doute.
- Je me fiche bien de qui vous êtes ! Miss Osborn ne veut voir personne ! Je ne saurai que vous conseiller de vous inscrire sur le registre afin de prendre rendez-vous.
Elle me fixait, l’air de penser que j’allais sagement m’exécuter et repartir. C’était bien mal me connaître néanmoins. J’eus pour elle un petit rire méprisant et ordonnai à mes cavaliers d’avancer.
- Miss Osborn ne … !
Mais je ne l’écoutai déjà plus.
Les conversations à voix basse cessèrent quelques secondes quand j’entrais mais reprirent rapidement, encore plus doucement.
- C’est Tabatha Taylor !
- Que vient-elle faire ici ?
- Elle est plus belle que ce qu’on m’avait dit !
Tous ceux qui se trouvaient dans cette pièce étaient des parasites, des incapables, des inutiles. Parce que l’un de leur ancêtre au troisième degré avait daigné s’activer un peu, leurs descendants se pavanaient dans ce salon, l’air important, et se retrouvaient régulièrement dans ce genre d’endroit, assis autour de petites tables en fumant et buvant tout leur soûl, et critiquant les actes de ceux qui travaillaient. Je les détestais.
- Tabatha ! Il est rare de te voir ici … Que nous vaut cet honneur ?
Je me tournai en direction de la voix moqueuse. Evidemment. J’aurai dû reconnaître Andrea Pittman. La dernière fois que je l’avais vu elle s’était décolorée en blonde et avait la peau mâte, maintenant elle arborait une coupe au carré très effilée, couleur corbeau avec des mèches rouges sang, une peau très pâle et des lèvres assorties à ses mèches. Elle était seule, installée devant un cocktail, une cigarette à la main.
- Tu n’as pas changé, remarqua-t-elle. Toujours l’air aussi affable.
- Je ne peux pas en dire autant de toi, répliquai-je sèchement.
- J’ai du mal à croire que tu n’as que seize ans. Tu fais plus, ajouta-t-elle en me projetant la fumée de sa cigarette en plein visage. Tu vas vieillir prématurément.
- Moins que toi.
Elle fronça les sourcils et pinça les lèvres.
- Alexandre et Malcolm étaient bien sales, remarqua-t-elle pour donner le change.
- Contrairement à d’autres, ils savent faire autre chose que battre des cils et siroter. Le commun des mortels diraient qu’ils "se bougent les fesses".
- Je ne te permets pas ! Toi aussi avec ton statut tu pourrais t’installer à ces tables ! Et tes cavaliers aussi !
- Parce qu’il faut un statut ? Dans ce cas, que fais-tu ici ?
Elle se leva de sa chaise, furieuse, ce qui mit un terme aux murmures des bavardages.
- Je ne laisserai pas passer une autre de tes remarques acerbes, me prévint-elle.
- Et moi il va falloir que je révise ma théorie. Tu viens de me prouver que tu étais également capable de te servir de tes jambes !
- Espèce de … !
- Ca suffit Tabatha. Viens. On n’a pas de temps à perdre.
Malcolm m’empoigna par le bras et m’entraîna loin d’Andrea. J’étais heureuse de l’avoir remise à sa place.
Je repassai devant Alex et Malcolm et empruntai la porte de service après un dernier regard pour la jeune femme brune debout en plein milieu du passage.
Je déboulai dans le bureau d’Alice par l’entrée qu’utilisaient habituellement les serveurs, arrivant ainsi dans son dos, mais elle ne se retourna même pas.
- On m’a dit qu’une petite effrontée accompagnée de deux adolescents s’était présentée à l’accueil.
Elle se retourna, assise dans une gigantesque chaise de bureau en cuir sombre que je ne lui connaissais pas.
- C’est nouveau ?
- Tu as fais peur à Mrs Norris, poursuivit Alice.
- J’ai un gros problème, commençai-je.
Je passai à l’avant de son poste de travail tandis que mes cavaliers lui faisaient la bise.
- J’aime beaucoup ton nouveau fauteuil.
- C’est le mien Alexandre.
- Tu pourrais partager quand même !
- Tu veux que je te rappelle comment a fini le dernier sur lequel je t’ai permis de t’asseoir ? Bonjour quand même Malcolm.
Malcolm sourit.
- Est-ce que tu m’écoutes ? m’énervai-je. J’ai vraiment un problème.
- La peinture de la voiture a été éraflée ? Ne t’inquiète pas, dans quelques jours il n’y paraîtra plus.
- Il y a une équipe rook à Denver.
Alice parut enfin me prêter une réelle attention.
- Vraiment ?
- Oui. Enfin … Une équipe et un pion, probablement un espion, ses techniques de combat étaient plutôt rudimentaires.
- Qu’est-ce qu’ils voulaient ?
- Se battre. Mais j’ai l’impression que c’est le pion, une certaine "April", qui a mené l’opération et qui a entraîné la tour avec elle.
- Comment est-ce possible ?
- Je ne sais pas. C’est le roi de l’équipe qui me l’a dit et j’ai eu l’impression que c’était vrai. Leur opération n’était absolument pas préparée.
- D’accord mais … Je ne vois pas en quoi c’est un problème. Tu les as mis en déroute, non ?
- Malcolm a explosé leur voiture mais … le souci c’est que les rooks n’étaient pas venus les mains vides.
- Quoi ?
- Dans le véhicule, il y avait trois filles.
- Qui ?
- Je t’en ais déjà parlé. Il s’agit de Lilian Stevens, Morgan Jones et Jade Takano.
- Celles du stage ?
- Oui.
- Pourquoi les avaient-ils avec eux ? s’exclama Alice.
- D’après le roi, ils les avaient prises en guise de monnaie d’échange au cas où ça tournerait mal pour eux. Mais comme je te l’ai dit, l’opération n’était pas préparée, tout du moins, pas dans les plans du roi. Il a dû improvisé quand ses partenaires se sont retrouvés en difficulté. Je pense plutôt que le kidnapping des filles était prévu.
- Mais pourquoi ? Ce ne sont que des lycéennes !
- En tout cas, la Rook Guild leur trouve un certain intérêt.
Alice se prit la tête dans ses mains et inspira bruyamment.
- Où sont-elles maintenant ?
- Dans ma voiture. L’une d’elle est blessée.
- Et tu ne pouvais pas le dire plus tôt ? !
- Qu’est-ce que j’en fais ?
- Mais … je ne sais pas !
- Tu n’es pas payée pour ça normalement ?
- Ne joue pas à ça avec moi Tabatha.
Elle marqua une pause.
- Emmène-les chez Shannon, Maximilien est là-bas, il s’occupera de la blessée. Vous lui avez prodigué les premiers soins ?
Je hochai positivement la tête.
- Etant donné qu’elle s’est prise une balle je ne vais pas rester ici plus longtemps, poursuivis-je. Par contre, dès que tu peux, appelle-moi pour me donner la suite des opérations.
- Elles ont cours demain ?
- Même si ce n’était pas le cas elles ne vivent pas en ermite. Elles ont une famille qui sera très étonnée de ne pas les voir demain matin.
- Je m’en occupe. Contente-toi de rouler.
- A la prochaine alors ! Malcolm, Alexandre ! les hélai-je.
- Je reviendrai bientôt pour essayer ton fauteuil !
- S’il te plaît Malcolm, fais en sorte que ça n’arrive pas, le supplia Alice.
- Tu peux compter sur moi.
Sur ce, les deux garçons éclatèrent de rire.
Quand je remontai en voiture, elles s’étaient toutes endormies. Malcolm se réinstalla sur le siège conducteur, je me plaçai à sa droite et Alex remit Jade Takano sur ses genoux, entre autre pour l’empêcher de tanguer en raison de sa blessure pendant le voyage. Mais la fille était surtout mignonne.
Tss …
Lexique
Rook : en anglais, cela correspond à la pièce du jeu d'échec que l'on appelle la "tour". La "Rook Guild" est donc la "Guilde de la tour".
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