- Arrête de gigoter !
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- Ce n’est pas de ma faute si le vent me pousse !
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- Tss …
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Je réprimais un frisson, dû à un énième coup de vent.
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- Et puis, il serait quand même temps d’y rentrer, dans cet immeuble ! Ca fait une semaine que l’on note les mouvements des gardiens, le temps entre chaque relève, le…
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- Je sais. Mais Stanislas ne veut pas.
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Malcolm parut surpris.
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- Stanislas ? C’est une blague ! On n’a pas besoin de son accord !
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- Bien sûr que si. Nous travaillons ensemble, qu’on le veuille ou non. Et c’est un spécialiste de l’infiltration.
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- Nous aussi.
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- On ne peut pas se permettre de négliger son avis. C’est une question de sécurité.
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Mon cavalier se renfrogna.
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- Et donc ? Qu’est-ce qui le gêne ?
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- Je ne sais pas exactement. Cet après-midi, il devait justement vérifier ses hypothèses. Si elles se confirment, il nous en parle ce soir. Dans le cas contraire, nous agirons dès demain, quand Alex aura bien récupéré et que nous aurons mis au point un plan.
-
Malcolm n’ajouta rien et recommença à compléter notre fiche de renseignements. Pour ma part, je continuais à élaborer mentalement un plan d’infiltration en prenant en compte toutes les données que nous avions pu récupérer jusqu’à maintenant. Je me demandais ce qui poussait Stanislas et Killian à repousser l’opération : Malcolm avait raison, après une semaine de travail il était temps de passer à l’action. Mon biper sonna à ce moment précis et je le consultais : c’était le roi rook qui nous priait de regagner l’hôtel. Il devait en avoir fini avec ses tests.
-
- On rentre, ordonnai-je à Malcolm.
-
***
Alex n’était pas dans notre suite quand nous la regagnâmes, je supposais donc qu’il était soit à la plage soit dans la chambre des filles. A cette dernière solution, la colère m’échauffa un peu – je commençais à avoir l’habitude, aussi, elle ne me saisissait plus aussi violemment qu’avant. Je regardais par la baie vitrée la plage mais ne l’y vis pas, je me dirigeais donc vers la suite des supposées " Trois Immortelles ".
Ce qui me frappa d’abord quand j’entrais, ce fut l’air paniqué de Morgan. Toutefois, comme celle-ci était une froussarde de première catégorie, je ne pouvais pas me baser uniquement sur son attitude à elle. Cependant, les autres personnes présentes ne valaient pas beaucoup mieux : Lilian paraissait elle aussi paniquée tandis que Jade semblait plus coupable qu’autre chose. Cette dernière était pourtant la plus sage du lot. Mon regard se posa sur Alex – il arborait également un air fautif.
-
- Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
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- C’est entièrement de ma faute ! s’écria Jade, ce qui me surprit. Je suis la seule responsable !
-
- Mais de quoi ?
-
Mon cavalier punk se releva et marcha jusqu’à moi.
-
- Jade est sortie de l’hôtel …
-
J’écarquillais les yeux.
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- Comment ? ! Mais … Alexandre ! Je t’avais dit de ne pas faire de … !
-
- Ce n’est pas de sa faute ! reprit celle qui se considérait comme la coupable. Je … !
-
- Bien sûr que non, Jade ! Si je n’avais pas … ! la coupa Alex.
-
- Non ! C’est moi qui suis sortie dans la rue !
-
- Mais c’est moi qui t’ai poussée à sortir !
-
- J’ai eu une réaction totalement disproportionnée ! Si je n’avais pas … !
-
A chaque hurlement, Lilian et Morgan se recroquevillaient et avaient l’air d’être un peu plus sur le point de pleurer.
-
- Tu n’es pas responsable de cette situation !
-
- N’essaye pas d’endosser la responsabilité de … !
-
- TAISEZ-VOUS !
-
Les deux adversaires s’arrêtèrent et me dévisagèrent
-
- Plutôt que de vous disputer, ce qui ne mènera à rien, racontez-moi ce qui s’est passé. Et objectivement.
-
Maintenant qu’elle avait été coupée dans son élan, Jade ne semblait plus être sur le point de dire quoi que ce soit. Aussi, ce fut Alex qui prit la parole.
-
- J’étais sur la plage avec Jade …
-
Voilà qui commençait bien. J’avais beau être moins sensible qu’avant à la proximité entre mes cavaliers et mes trois protégées, je n’étais pas totalement immunisée.
-
- … et pour plaisanter, je l’ai prise dans mes bras.
-
Morgan ouvrit en grand les yeux.
-
- Je lui ai ensuite dit que j’agissais ainsi par pur intérêt sexuel.
-
Cette fois, ce fut à Lilian de faire une grimace. Pour ma part, je me représentais très bien la scène et la trouvais très amusante, bien que ses conséquences le soient moins.
-
- Ca n’a pas plu à Jade, qui m’a donné un gros coup de coude dans le ventre puis s’est relevée en me criant – je cite – : " Sombre crétin, espèce de larve, ne m’approche plus jamais ". Elle s’est ensuite enfuie en courant. Seulement, elle ne pouvait pas retourner dans sa suite car elle avait perdu sa clef sur la plage. Je me suis lancé à sa poursuite et, pour m’échapper, elle a couru dans la rue. Je lui ai demandé de retourner à l’hôtel immédiatement, ce qu’elle a fait, puis elle a récupéré Morgan et Lilian aux jacuzzis. Nous sommes remontés ensemble ici. Pour finir, tu es arrivée.
-
J’inspirais un grand coup.
-
- Je ne sais pas pourquoi les rooks ne veulent pas les filles sortent, c’est à Stanislas et à Killian d’évaluer les dommages. Ils ne devraient pas tarder, ajoutai-je après un coup d’œil à ma montre.
-
Alex hocha la tête. Malcolm arriva à ce moment-là dans la suite et, voyant toutes les têtes d’enterrement qui s’y trouvaient, s’empressa de me demander de lui expliquer le problème. Il afficha, après que je lui ai résumé la situation, une face mi-figue mi-raisin. Sans aucun doute parce qu’il avait envie de rire alors qu’il savait que ça nous plongeait dans une situation dangereuse. Malcolm finit toutefois par s’approcher d’Alex et par lui chuchoter :
-
- Tu gères, vieux.
-
- Je ne te le fais pas dire.
-
Ils s’entrechoquèrent les poings puis les paumes. Je levais les yeux au ciel avant de les reporter sur les trois filles.
" Quelle idée de participer à ce fichu stage en forêt … "
Je n’aurais pas été là et aurais eu plus de temps pour me consacrer à mes différentes activités, qui souffraient du temps que je devais consacrer à la protection des filles. Et on ne m’aurait peut-être pas obligé à travailler avec Stanislas et Cie.
Stanislas … La colère infiltra chaque particule de mon corps, de l’extrémité de chacun de mes cheveux aux bouts de mes orteils. Son don, associé à un Q.I de 140, m’inquiétait. Il était parfaitement capable de retenir pendant une durée conséquente chaque détail de mon comportement puis, au bon moment, de s’en resservir. De plus, comme si ça ne suffisait pas, je m’étais relâchée devant lui. Je haïssais une fois de plus mes insomnies répétées qui livraient à l’immonde personnage des indices sur un plateau d’argent. Je ne supportais pas de sentir son regard me suivre en permanence, dans l’attente de la moindre faille de ma part. Et puis, lui aussi était étrange.
" Tu es vraiment splendide "
C’était ce qu’il m’avait dit lors de notre premier vrai contact. Déjà à ce moment, il m’avait fixé, de ses yeux bleus aussi froids que les miens. Pourtant, il ne me connaissait pas. Il savait juste l’essentiel : il n’était pas bon d’affronter Tabatha Taylor en duel. Pourquoi alors était-il sorti du 4x4 en laissant Jade sans protection ? Certainement pas pour me faire un compliment – le premier depuis longtemps. Il fallait être stupide pour agir ainsi. Ou bien avoir un coup de fou …
-
- Tss …
-
- Un problème, Tabatha ?
-
Je tressaillis, ce n’était cependant que Malcolm.
-
- Non. Je commence à trouver que Stanislas et Killian mettent du temps à revenir.
-
- Ils sont peut-être tombés sur des aces … Entre Stanislas qui en tue un et Jade qui sort dehors … L’Ace Guild s’est peut-être doutée de quelque chose …
-
Mon cavalier avait dit la chose de manière neutre, sans chercher à blesser quiconque ou faire des reproches mais Jade se recroquevilla sur elle-même. Bien fait.
-
- Ouvrez ! tonna une voix.
-
Je me précipitais sur la porte et l’ouvris : les rooks étaient derrière.
-
- Qu’est-ce qu’il se passe ? m’inquiétai-je.
-
Stanislas et Killian haletaient, preuve qu’ils s’étaient dépêchés.
-
- Venez dans notre suite, il faut qu’on vous parle de ce que nous avons découvert.
***
Killian débarrassa la table basse des affaires qu’il avait entreposé dessus avec son partenaire puis Stanislas disposa un petit appareil électronique avec des liasses de papier.
-
- Qu’est-ce que c’est ? lui demandai-je en pointant du doigt l’appareil.
-
- Un capteur à sons.
-
Je fronçai les sourcils. Je connaissais l’objet de nom mais je ne voyais pas ce qu’il pouvait avoir d’intéressant dans notre situation.
-
- Pourquoi faire ? demanda à ce propos Alex.
-
- La grande majorité de nos missions, avec Killian, sont de l’espionnage, lui expliqua le roi rook. Par conséquent, nous nous servons beaucoup de ce capteur, qui possède des facultés intéressantes si on sait bien s’en servir.
-
- Lesquelles ? m’enquis-je.
-
- Tu dois savoir que les sceaux, les barrières ou encore les Portes, par exemple, émettent des sons.
-
J’acquiesçai d’un mouvement de tête.
-
- Seulement, l’oreille humaine n’est pas assez développée pour les percevoir, même chez les animaux, peu y arrivent. Encore moins pour les différencier, étant donné que la fréquence de ces sons n’est pas la même selon son émetteur. Cet appareil, m’apprit Stanislas en s’en emparant, est non seulement capable de les capter mais de bien les distinguer.
-
- Nous savons déjà tout ça, le coupa Malcolm. Nous sommes quand même la quatrième équipe.
-
Même quand il ne savait pas, il ne pouvait pas s’empêcher de se mettre en valeur.
-
- Je comprends que l’appareil puisse être utile mais je n’ai rien perçu, alors que je possède des attributs animaux. Je peux t’affirmer qu’il n’y a pas d’ultrasons aux alentours de la base ace.
-
- Ce ne sont pas des ultrasons qu’émettent ce genre de choses, me révéla Killian. Sinon, tu penses bien que personne n’aurait songé à inventer ce truc.
-
Je fus un peu vexée devant l’air dédaigneux que la tour avait adopté en me faisant remarquer mon erreur mais je devais reconnaître ne pas être très calée dans ce domaine.
-
- Votre capteur de sons a donc " entendu " quelque chose ? les interrogea Alex.
-
- Oui, lui répondit Stanislas. Nous ne l’avons pas amené les premiers jours de notre observation parce que la Rook Guild ne met quasiment jamais en place d’installation douée dans des Q.G comme des aces à Miami, sous peine de se faire repérer. Et comme tu l’as fait remarquer, Tabatha, l’Ace Guild a un fonctionnement proche du notre. C’est par acquis de conscience que je m’en suis servi. J’ai bien fait : le capteur nous a informé qu’il y avait " quelque chose ". Seulement, nous ne l’avions pas programmé, nous avions donc dû remettre nos projets au lendemain. Nous avons testé avec les logiciels appropriés si ce " quelque chose " pouvait être une Porte, une barrière, un sceau … Ca m’a prit plusieurs jours pour écarter les possibilités les plus probables.
-
- Tu n’as donc pas tout cherché ?
-
- Non, c’est impossible en une semaine. Mais l’Ace Guild n’a pas tout copié de notre technologie, j’ai donc écarté tout ce que je savais qu’elle ne possédait pas.
-
- Ce n’est pas " quelque " chose de courant alors ? poursuivit Malcolm.
-
- Oui, sans aucun doute. Je me suis par conséquent servi d’un logiciel dit " d’apprentissage ", c’est-à-dire qu’il n’a aucune référence.
-
- Pourquoi faire ?
-
- Il me permet d’afficher la fréquence des sons perçus sans qu’elle soit influencée par d’autres données. Par la suite, je peux faire des recoupements.
-
- Tu as réussi ? m’informai-je.
-
- Et bien … Je ne suis pas sûr mais … je pense ne pas être loin de la vérité.
-
Mais oui, mais oui … Voilà qu’il me faisait le coup du " J’ai un Q.I de 140 mais je dois avoir tort, parce que, vous comprenez, il y a des gens qui sont plus intelligents que moi et que 140 ce n’est rien du tout, sauf pour vous, pauvres crétins dotés d’un Q.I moyen ". Il allait rapidement arrêter ça.
-
- Et ?
-
- Il vaut mieux que vous voyiez par vous-même.
-
Killian nous montra alors les papiers qu’il avait posés sur la table : des dizaines et des dizaines de courbes étaient imprimées, de nombreuses annotations ayant été écrités sur les bords des feuilles. N’étant pas spécialisée dans ce domaine, je n’étais cependant pas en mesure de comprendre la signification de ces courbes. Stanislas dut saisir mon problème car il s’empressa de me prendre les copies pour me les expliquer.
-
- Il y a beaucoup de données car j'ai placé le capteur à différents endroits, dans un périmètre que j'avais défini au préalable. Je me suis ainsi aperçu que le " quelque chose " est composé de plusieurs " choses ".
-
- Comment ? m'étonnai-je.
-
- Ce qui signifie que ce n'est pas des émetteurs dont nous devons nous occuper en priorité mais de ce qu'ils alimentent, conclut Killian.
-
Je fronçai les sourcils.
-
- Ils alimentent quelque chose ?
-
- Oui. Regarde.
-
Le roi rook me tendit la dernière feuille du tas et me la mit sous les yeux. Ce que je vis finit me stupéfia – si l'on traçait des lignes pour montrer le sens de propagation du son, le dessin obtenu formait une sorte de toile d'araignée, dont les fils se croisaient tous au centre.
-
- Qu'est-ce que c'est ? s'inquiéta Alex.
-
- Ce qu'on appelle communément un Piège, lui répondit simplement Stanislas. Du coup, je suis bien incapable de dire de quoi il s'agit vraiment.
-
***
Je me retournais une fois de plus dans mon lit en repoussant mon drap. J'adoptais la pose dite de la " planche ", position de yoga censée favoriser le sommeil, comme toutes les nuits, en espérant que le sommeil finirait par me gagner. Je pressentais néanmoins qu'une fois de plus, il me fuirait. J'inspirais puis expirais profondément afin de me calmer. Je finis cependant par me retourner en direction d'Alex – cette nuit, c'était à lui et moi de se partager le lit double. J'aimais le voir dormir. Je trouvais ça reposant. Sa respiration était régulière, son visage paisible. Je me collais contre lui en espérant m'endormir en sentant l'odeur de ses vêtements, la même depuis que je le connaissais car il s'agissait de celle de la lessive qu'utilisait sa mère. J'avais l'impression de me retrouver des années auparavant, lorsque nous passions les étés chez Shannon. Je pouvais presque entendre le bruit si particulier des grillons, sentir l'odeur de toutes les fleurs qui abondaient en ce lieu. Ces moments me parurent tellement idylliques que je craignis un instant de les avoir seulement rêvés. Je savais pourtant que non.
Pourquoi le sommeil ne me gagnait-il plus aussi facilement qu'avant ? Pourquoi mon corps avait-il besoin d'aller au-delà de ses limites pour qu'enfin je sombre dans le domaine des rêves ? Je ne comptais plus le nombre de jours de cours que j'avais loupé à cause de ça, à cause de ses matins où ouvrir les yeux m'était impossible. Ne plus être conscient était pourtant si agréable ! Je ne ressentais plus rien, comme les morts. De toute manière, si je n'avais pas eu à cœur d'exterminer la Rook Guild, j'aurais fait en sorte de trépasser depuis longtemps. La vie était trop dure pour moi. Je souhaitais seulement qu'elle s'arrête. Que tout s'arrête : le désespoir, les regrets, la colère, la fatigue, la solitude – la nuit sans lune.
***
Je détestais les regards lubriques des vieillards à la plage, aussi je me débrouillais pour que, sur le chemin de la mer, mon matelas gonflable cache autant de parcelles de peau que possible. Nonobstant, je ne pouvais pas les empêcher de me mater les fesses quand je montais dessus. Et pas question de monter n'importe comment : je ne voulais pas avoir affaire avec l'eau froide de l'océan. Très peu pour moi.
-
- Euh … Tu devrais peut-être regonfler ton matelas, Juliet …
-
J'eus un regard pour Jade puis pour mon matelas. Effectivement, elle avait raison. Je m'assis donc à côté d'elle puis me mis à l'œuvre.
-
- Tu plaisantes ? Je ne le ferais pas.
-
Je tendis l'oreille, me demandant quelles raisons poussaient Killian à chuchoter.
-
- Tu as peur ? murmura Malcolm avec des accents moqueurs.
-
- Froussard ! renchérit Alex, à voix toujours aussi basse.
-
- Matt, tu me fais honte, soupira Stanislas.
-
- Tu tiens vraiment à te baigner une seconde fois, toi …, grogna la tour. Et je ne vois pas pourquoi ça serait à moi de le faire !
-
- Je suis allergique à l'eau, se défendit le roi.
-
- Ce n'est pas vrai ! Je propose que l'on décide de ça à pierre feuille ciseaux, proposa son partenaire.
-
- Je suis pour ! accepta mon cavalier punk.
-
- J’ai toujours eu une chance fabuleuse à ce jeu !
-
Malcoolm …
-
- Allez … Pierre, feuille, ciseaux !
-
Déclaration qui fut suivie d’un grand blanc puis de :
-
- Finalement, c’est bien à toi de t’y coller !
-
- Je veux que l’on fasse une autre partie ! protesta Killian.
-
- Et l’honneur alors ? répliqua Stanislas.
-
- Tu ne devrais même pas avoir le droit de prononcer ce mot alors ne m’en parle pas ! répliqua la tour.
-
- C’est toi qui a proposé que l’on joue ça à pierre-feuille-ciseaux ! lui rappela Alex.
-
- J’ai compris ! Je vais le faire ! Mais ne vous avisez pas de faire en sorte que je me fasse choper !
-
Si je pouvais savoir de quoi ils parlaient, tous les quatre ! J’envisageai un instant d’envoyer les filles aux nouvelles mais, ne voulant pas leur adresser la parole, je n’en fis rien.
J’étais tranquillement couchée sur mon matelas, les yeux fermés, bercée par les vagues quand je perçus une présence. Un être vivant – animal ou homme, j’étais à ce stade incapable de le préciser – se rapprochait de moi. Il ralentit un instant, arrivé relativement près de moi, ce qui me fit croire qu’il devait s’agir d’un poisson.
" Tabatha … Un poisson, si près de la berge ? "
Décidant d’en avoir le cœur net, j’enfilai mes lunettes de plongée et mis la tête sous l’eau suffisamment pour voir ce qui se trafiquait sous la surface. Je ne vis rien. Rassurée, je retirai mes lunettes et me recouchai … pour sentir de nouveau la présence se rapprocher … puis mon matelas basculer ! Je ne pus retenir un hurlement quand je compris que je tombais de mon matelas puis quand mon corps fut englouti sous les flots. J’ouvris brièvement les yeux sous l’eau, assez pour distinguer cette fois-ci la silhouette de Killian. Ma tête sortie de l’eau, j’entendis immédiatement les rires provenant de la plage : mes cavaliers, les filles et Stanislas. Killian aussi riait, seulement, à la différence des autres (dont une partie avait, je le comprenais maintenant, conspiré contre moi), il était tout proche. Quand son regard croisa le mien, il comprit qu’il aurait dû se dépêcher de partir. Trop tard ! Je poussai un cri de rage et me jetai sur lui. Cependant, une fois sous l’eau, son corps se désagrégea immédiatement pour devenir de l’eau et se mêler au reste de l’océan. Voilà pourquoi je ne l’avais pas vu au début, son don était bien pratique pour ce genre de farce. Il réapparut quelques mètres plus loin et s’empressa de rejoindre le reste de la bande, me laissant seule avec ma honte et ma colère.
Je jurai intérieurement de lui rendre la monnaie de sa pièce, que ce soit demain ou dans plusieurs mois.
***
-
- Où en êtes-vous ? chuchotai-je à mon oreillette.
-
- Nous y sommes presque …, me répondit une voix couverte par des grésillements.
-
Il y eut un silence.
-
- C’est bon, vous pouvez y aller.
-
- On y va.
-
Je fis signe à Malcolm et Alex que l’opération commençait. Stanislas et Killian s’étaient infiltrés les premiers dans la base ace afin de neutraliser des gardiens et, en cas où mon équipe se retrouverait en mauvaise posture, d’attirer l’attention ailleurs. Par contre, seul Alex m’accompagnerait à l’intérieur de la base, Malcolm devant rester dehors pour réceptionner toutes les donnés que l’on pouvait nous envoyer au cours de la mission et nous transmettre celles qui lui paraissaient importantes. Le garder à l’extérieur pouvait également permettre de surprendre les aces en cas de confrontation, étant donné qu’ils ne soupçonnaient pas sa présence. Et puis, sans lui, nous étions déjà quatre à s’infiltrer, nous ne pouvions pas permettre une présence étrangère supplémentaire, comme Killian et Stanislas ne pouvaient pas se séparer et que j’avais besoin d’Alex en cas de bataille pour me protéger, il avait été décidé que celui qui resterait serait Malcolm. Nous avions pris le risque de laisser les filles seules mais nous allions rentrer tôt, pour le moment où les barrières de leur chambre faiblissaient, car c’était bien pendant la nuit que les protections étaient les plus efficaces : il était impossible pour l’Ace Guild de les forcer, leurs connaissances sur le sujet étant minces d’après ce qu’avait prouvé les derniers rapports de la Rook Guild.
Les informaticiens de la Rook Guild s’était chargé de déconnecter les alarmes et les caméras que nous leur avions indiquées, aussi, j’ouvris avec ma seule force la fenêtre par laquelle nous avions décidé d’entrer. A l’intérieur, je consultai le plan de la base, via mon agenda électronique, et indiquai aussitôt à mon cavaliers le chemin à suivre avant d’envoyer un message à l’équipe rook pour les informer de notre progression.
Nous parcourions les couloirs aussi facilement que si nous avions été des ombres, sans un bruit et sans que l’on nous oppose la moindre résistance – les quelques personnes que nous avions eu l’occasion de croiser ne nous avaient pas remarqué. Tout s’enchaînait comme prévu.
" C’est trop simple "
Je pouvais compter sur le bout des doigts le nombre de missions de ce niveau qui s’étaient déroulées sans accroc, autant dire qu’elles n’étaient pas nombreuses. Il était impossible de tout prévoir à l’avance, le facteur " hasard " entrant systématiquement en jeu.
Je chassais cette idée de mes pensées, ne pouvant pas être au maximum de mes capacités sur ma mission si ma tête était ailleurs. Nous approchions en plus de la zone que Stanislas pensait susceptible d’abriter ce que les " quelques choses " alimentaient. Nous allions devoir tout fouiller. Les rooks devaient s’occuper, eux, de chercher dans les petits papiers, à savoir : qui séjournaient en permanence dans cette base, qui y travaillaient, quelles affaires ou types d’affaires y étaient traités. Cette nuit allait être chargée.
***
-
- Il va falloir songer à rentrer …, me grésilla dans l’oreille Killian.
-
Je jetai un coup d’œil à ma montre, qui me confirma ce que m’avait dit la tour : le soleil n’allait pas tarder à se lever, ce qui rendrait notre sortie de la base plus dangereuse, et la barrière qui protégeait les filles n’allait pas tarder à perdre de son intensité.
-
- Très bien. Encore une demi-heure et nous partirons.
-
- Bien.
-
Je prévins Malcolm de l’avancé de nos projets et m’apprêtais à poursuivre mes recherches quand Alex revint du couloir qu’il avait exploré. Il secoua la tête pour m’indiquer qu’il n’avait rien trouvé, une fois de plus. Mais, en même temps, nous ne savions même ce que nous devions trouvé ! Ni sa forme, ni sa couleur, ni sa taille. Cela pouvait être n’importe quoi.
-
- Tabatha … Cette porte …
-
Je me retournais vers mon cavalier puis dans la direction qu’indiquait son doigt.
-
- Oui ?
-
- Je l’ai vue plusieurs fois au cours de mes explorations.
-
C’était pourtant une porte toute simple, que rien ne permettait de distinguer de ses semblables.
-
- Tu en es sûr ?
-
- Je reconnais le trou de serrure.
-
Je l’examinais d’un peu plus près et m’aperçus que la serrure n’était pas si simple que ce qu’on aurait pu croire au premier abord : le trou présentait en effet une caractéristique que l’on retrouvait sur des portes transportables. Leur propriété était de se déplacer à intervalles de temps régulier dans un périmètre délimité, ce qui rendait leur localisation difficile. Idéal pour empêcher d’éventuels ennemis de trouver certains secrets … Cette serrure avait la marque que laissait inévitablement la pose d’un sceau.
-
- Sors le briseur de sceau, ordonnai-je à Alex, il faut que nous allions voir ce qui se trouve de l’autre côté de cette porte … avant qu’elle ne parte.
-
Mon cavalier s’exécuta aussitôt et sortis d’une des poches de sa ceinture l’appareil, qui possédait la même force qu’un tire-bouchon. Il plaça l’extrémité pointu dans la serrure, ce qui provoqua un grésillement indiquant à coup sûr qu’un sceau était bien là, puis poussa le levier. Nouveau grésillement. Il dut répété l’opération une nouvelle fois, ainsi qu’une autre, pour que le sceau soit brisé.
-
- Leur sceau ne sont pas terribles, commenta Alex. Ils se brisent comme rien !
-
- Tant mieux pour nous. Avançons.
-
Le punk retira le briseur de sceau de la serrure, ouvrit la porte et me laissa entrer la première.
La porte ne cachait, pour le moment, qu’un étroit escalier en colimaçon qui partait vers le bas. J’envoyai l’info à Malcolm puis commençai ma descente avec Alex.
L’escalier ne semblait pas avoir de fin et j’envisageai un instant qu’un sceau lui ait été imposé pour nous faire descendre éternellement. Cela me semblait néanmoins invraisemblable, étant donné que l’entrée de l’escalier avait été la première installation douée que nous ayons rencontré et qu'il fallait bien que les aces mettent à l’écart de leur entreprise – qui embauchait des gens normaux – tout ce qui concernait leurs affaires spéciales.
Au bout d’une dizaine de minutes, d’après ma montre, nous arrivâmes à la fin de l’escalier. J’entendis immédiatement des voix et fis signe à Alex que nous allions devoir être très prudents, les couloirs n’allaient pas être aussi vide que tout à l’heure. Je consultai ensuite mon agenda électronique mais m’aperçus que cette partie de la base ne figurait pas sur ma carte. Il allait falloir se déplacer à l’aveuglette tout en gardant à l’esprit que nous allions devoir repartir dans vingt minutes. Une autre infiltration allait être indispensable pour percer tous les secrets de cet endroit.
-
- Tabatha … Par ici !
-
- Quoi ?
-
- Regarde !
-
Nous nous engageâmes dans une impasse entre ce qui semblaient être deux bureaux mais qui se terminait par une vitre. Sur quoi donnait-elle ? Mes yeux s’écarquillèrent sous la surprise.
-
- Qu … Qu’est-ce que c’est ? balbutia Alex.
-
La vitre surplombait une vaste salle dans laquelle était aligné, comme dans un cimetière, des rangées entières de caissons transparents qui abritaient des humains, apparemment endormis et reliés à des appareils à côté de leur espèce de cercueil par des tubes en plastique.
-
- Je ne sais pas … Mais Stanislas et Killian seront peut-être capable de nous le dire … Dans tous les cas, ne nous attardons pas, il faut trouver le " quelque chose ".
-
Après encore quelques coups d’œil, nous nous éloignâmes de la vitre et poursuivîmes notre exploration.
Je finis par comprendre que l’organisation de cet étage sous-terrain était circulaire et déduisis que si le " quelque chose " était bien ici, il devait être au centre. Cependant, s’y rendre allait nécessiter d’emprunter les couloirs les plus passants. Je pesais un instant le pour et le contre puis me décidais à avancer autant que je le pourrais sans attirer l’attention. Alex envoya un message à Malcolm pour lui demander de mettre les rooks au courant de l’avancé de notre progression tout en leur spécifiant de ne pas nous contacter, hormis en cas d’extrême urgence. Nous étions au cœur de la base ace et je ne tenais pas à perdre cette chance unique que nous avions de dénicher le " quelque chose ".
Collée à la paroi des couloirs, j’observais cette étrange pièce cylindrique qui semblait trôner au centre de l’étage. Je retins ma respiration quand un ace passa devant le couloir où je me trouvais avec mon cavalier. Heureusement, il ne nous remarqua pas – une chance. Néanmoins, un coup d’œil à ma montre m’apprit qu’il était temps de rentrer. Au diable l’heure ! J’étais sur le point de découvrir le but de notre expédition. Mon seul soucis était les deux colosses qui gardaient l’entrée de la pièce : si je les assommais, les aces allaient savoir que des espions étaient rentrés et cela, combiné avec la sortie de Jade, finirait de les alerter, nous obligeant à repartir à Denver pendant que l’Ace Guild renforcerait ces mesures de sécurité. Je regagnais un couloir plus éloigné pour éviter que les aces ne nous entendent et exposais à Alex la situation et le plan que je venais d’élaborer.
Il consistait à attirer l’attention des aces dans les étages supérieurs de l’immeuble, suffisamment pour que les deux gardes quittent provisoirement leur poste. Je comptais pour cela sur Stanislas et Killian, qui avaient terminé leurs investigations aux dernières nouvelles. Pendant ce temps, nous – Alex et moi – pénétrerions dans la salle anciennement gardée, prendrions des photos puis placerions une bombe. Pour ressortir, j’optais pour l’improvisation totale, ce qui nous avait toujours bien réussi jusqu’à présent.
-
- Tu es complètement folle !
-
Visiblement, l’idée ne plaisait pas à mon cavalier.
-
- Nous n’avons pas le temps de faire plus élaboré, contrai-je. Et nous l’avons déjà fait.
-
- D’habitude, nous avons des plans plus précis que ça ! C’est du suicide ! Surtout la fin !
-
- Tu es libre de remonter à l’étage. Moi, en tout cas, je vais le faire.
-
Alex se renfrogna.
-
- Tu sais bien que je ne peux pas t’abandonner comme ça.
-
- Evidemment.
***
Les alarmes commencèrent à retentir une dizaine de minutes plus tard mais il fallut quelques minutes supplémentaires pour que les cerbères reçoivent l’ordre de quitter leur poste. Je ne me décollais du plafond qu’une fois que le bruit de leurs pas montant l’escalier me soit parvenue, avant de me diriger vers la porte qui m’intéressait. Elle était, bien entendu, fermée à clef. Je la défonçais d’un coup de pied et m’engouffrais dedans, suivie par Alex.
Sur les murs, se trouvaient des sceaux, plutôt petits – les récepteurs de l’énergie qu’envoyaient les différentes installations dont Stanislas avait perçu les sons. Le " quelque chose " que nous recherchions était pour sa part sous nos pieds et il s’agissait d’un sceau gigantesque, tracé sur toute la surface au sol de la pièce. Je me mis à l’instant même à tâcher de le déchiffrer, pour découvrir ses caractéristiques et ce à quoi il servait.
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- C’est un sceau d’espace, conclut mon cavalier, mais … il ne permet pas de se déplacer…
-
J’en étais arrivée à la même conclusion, moi aussi sans arriver à vraiment comprendre sa particularité. Enfin, de toute manière, il allait bientôt être détruit. Alex me sortit une bombe à retardement, que je programmais pour sauter dans quarante minutes. Je la plaçais au centre de la pièce et m’apprêtais à la mettre en route quand mon partenaire m’en empêcha :
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- Non ! Tabatha !
-
Il m’empoigna par le bras et se dirigea vers la sortie. Je me dégageais et lui demandais des explications :
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- Ca ne va pas, non ? Qu’est-ce qui te prend ?
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- Ce n’est pas un vrai sceau, Tabatha ! C’est une copie ! Cette salle est un piège !
-
Je fronçai les sourcils.
-
- Quoi ? Tu plaisan …
-
Mais, à cet instant, débarquèrent comme par magie dans la salle Stanislas et Killian, légèrement amochés. Tous les sceaux se désagrégèrent au même moment, ne laissant rien derrière eux que quatre prisonniers tandis que la salle se métamorphosait – la porte que je venais de démonter rentra dans ses gongs, entre autre, les murs parurent s’épaissir. Un bruit de serrure se fit entendre en parallèle : on venait de nous enfermer de l’extérieur.
-
- Ils avaient tout prévu depuis le début …, souffla Stanislas. Les aces ont dû repéré l’un d’entre nous au début de l’infiltration et ils ont mis en place ce piège …
-
- Comment ? ! Et pourquoi êtes-vous là ? m’écriai-je.
-
- L’un des aces devait avoir un don de téléportation … Nous nous sommes retrouvés dans cette pièce sans rien comprendre …, m’expliqua Killian.
-
- Je … je vais nous sortir de là ! leur assurai-je. Je …
-
J’avais démonté cette porte une fois, je pouvais bien le faire une seconde fois !
-
- Le vrai problème, Tabatha, c’est l’heure ! me coupa le roi rook. La barrière qui protège les filles ne va pas tarder à faiblir !
-
Je regardais ma montre, qui me confirma son diagnostic.
-
- Et les aces savent qu’il n’y a personne pour les défendre …, termina la tour.
-
- Ce n’est pas vrai ! protesta Alex. Malcolm est toujours dehors !
-
Sous le coup de la panique, j’avais oublié la présence de mon deuxième cavalier. Les aces aussi, sans doute. Pourtant, il était notre dernière chance.
Subject : No subject
From : Tabatha Taylor
" Malcolm, dépêche-toi de retourner à l’hôtel, nous sommes pris au piège et l’Ace Guild va en profiter pour s’emparer des filles ! Dépêche-toi ! "
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Lexique :
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Voilà le dernier tournant de l'histoire, qui devrait prendre fin dans au grand maximum 10 chapitres ! Je ne vous raconte pas l'émotion (pour moi) ... Les évènements vont s'accélérer pour finalement s'arrêter ... et reprendre dans le volume 2 !
J'espère que vous, mes chers lecteurs, me suivrez jusqu'au bout de ce premier volume !
Et désolée pour la très longue attente entre le chapitre 27 et celui-ci, je ne le referai plus !
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