J’étais en train de papoter avec Lilian qui venait de laisser Anthony à quelques connaissances quand je l’avais vu au milieu de la foule des élèves faisant la queue pour monter dans le car. J’avais d’abord cru rêver mais il n’y avait pas deux personnes comme elle sur cette planète. Tabatha Taylor était là - prête à partir. Je l’avais regardé le plus discrètement possible s’installer derrière Morgan et avait repris le cours de la discussion en tâchant de conserver un air neutre, ce que je faisais plutôt bien en temps d’ordinaire. Cette fois-ci pourtant, je me trahis.
- Tu es malade en bus ? s’inquiéta Lilian.
- Non. Pourquoi ça ?
- Tu n’as pas l’air bien. Tu es toute pâle, rajouta-t-elle.
- Ce … ce n’est pas ça … Regarde derrière Morgan …, soufflai-je.
Elle se retourna et fit vite volte face. A son air crispé j’en déduis qu’elle avait bien vu.
- Tu savais qu’elle devait venir ?
- Non. Et je ne me souviens pas avoir entendu un des élèves organisateurs s’être vanté de l’avoir fait.
- Pourtant elle est là !
- Peut-être s’est-elle directement adressé au prof ?
La fiche de répartitions des tentes arriva enfin à nous et nous nous regardâmes au même moment quand nous vîmes avec Lilian que Tabatha serait sous la même tente que nous.
Je jetai un autre coup d’œil par dessus l’épaule de mon amie. Ce qui devait être un sympathique voyage allait se transformer en cauchemar. J’en étais sûre.
L’heure de trajet jusqu’à la forêt nationale d’Arapaho§ me parut soudainement beaucoup trop courte. Je descendis du véhicule la mort dans l’âme. Bien que Tabatha ne s’en soit jamais pris à moi directement, j’avais une vague idée de ce dont elle était capable – dans l’affaire Hilton, à laquelle j’avais assisté, elle avait été aussi éblouissante que terrifiante. D’une certaine manière j’en avais peur, ne sachant pas où était vraiment ses limites.
Nous remîmes nos bagages à l’accueil et l’on nous prêta de quoi nous repérer en pleine nature – une boussole, prêtée par le lycée, et une carte. On nous présenta les guides qui nous encadreraient pendant nos activités.
- Vous travaillerez par groupe, nous prévint l’un d’eux. Nous les avons constitués de la manière suivante – les filles se trouvant sous les mêmes tentes restent ensemble et nous allons ensuite leur répartir les garçons.
Zut ! J’avais oublié ce désagréable point du séjour ! Ce voyage n’allait plus du tout une partie de plaisir, sauf peut-être pour Lilian car Anthony se trouvait être l’un des garçons de notre groupe. J’étais on ne peut plus désespérée. Mais parallèlement, j’allais faire tout ce que je pouvais pour empêcher que les autres le soient – désespérés.
Les activités commencèrent peu après, juste le temps que l’on nous explique les règles de prudence. Nous devions pour le moment nous familiariser avec la carte, ce qui fut fait sous forme d’un jeu où chaque groupe devait se rendre à un point précis, malgré tout encerclé par le groupe des animateurs pour éviter que nous nous égarions trop. Seuls les garçons, qui étaient au nombre de trois, et moi nous plongeâmes dans la carte, Lilian et Morgan se retrouvant incapable de la lire. Nous n’en menions cependant pas bien large non plus en réalité, aucun de nous n’arrivant vraiment à comprendre.
- Tss … Passez-la moi.
C’était la première fois que Tabatha articulait un mot depuis la journée me sembla-t-il. Surpris, Anthony lui tendit en levant un sourcil. Elle examina le document pendant quelques secondes avant de décréter d’une voix particulièrement autoritaire :
- Suivez-moi.
Elle tourna immédiatement les talons. Nous marchions tous littéralement sur ses pas et j’avais la terrible impression que nous étions en train de nous perdre tellement la végétation devenait dense. Au bout de longues minutes nous finîmes néanmoins par revenir sur l’un des sentiers - Tabatha n’avait pourtant regardé qu’à deux ou trois reprises la carte.
- T’es sûre qu’on est sur le bon chemin ? s’enquit Konnor Nelson, un des membres de notre groupe, l’air vaguement inquiet.
- Si tu n’en ais pas sûr tu peux toujours rebroussé chemin et revenir au point de départ - si tu y arrives. Ce n’est pas moi qui t’en dissuaderai.
Et elle poursuivit son chemin en accélérant le pas.
Nous arrivâmes peu après au point d’arrivée, seul un autre groupe était là. Les accompagnateurs nous félicitèrent chaudement, Lilian et Morgan soufflèrent de soulagement. Tabatha était-elle une adepte de la randonnée ? Non, plutôt une espionne des services secrets – cela lui allait mieux avec ses capacités au combat. Les garçons de notre groupe se donnèrent de grandes claques dans le dos, ce n’était pourtant pas grâce à leurs formidables qualités que nous en étions là. Mais je ne leur dis pas.
Je jetai un petit coup d’œil à Tabatha, nonchalamment adossée à un tronc dans l’attente des autres groupes. Que cachait-elle ? Cette question tournait en boucle dans ma tête sans jamais vouloir s’arrêter.
Le reste de la journée se passa dans l’ensemble dans la bonne humeur, notre sauveuse de la matinée se révélant à de maintes reprises d’une aide précieuse dans divers domaines. Aucun doute c’était une habituée. Mais de quoi véritablement ?
Je crus que Lilian et Morgan allaient pousser des hurlements de bonheur quand on nous annonça la fin des activités et elles firent preuves d’un grand empressement à monter la tente.
- Haaa !
Ce furent les mots exacts de Morgan quand le dernier pant de toile fut placé. Suivi d’un langoureux : " Noon ! " quand tout s’écroula. Elle tomba à genoux.
- J’aurai jamais la force de tout remonter !
- On n’a pas le choix, lui fis-je remarquer. Sinon nous allons devoir dormir à la belle étoile.
- Non ! Pas question ! Cette tente sera montée !
Elle marqua une pause, une fabuleuse idée ayant l’air de lui avoir traversé l’esprit.
- Il faut bien qu’il nous serve à quelque chose ! Anthony !
Ce dernier accourut bien vite en voyant la tête déconfite de Lilian.
- Qu’est-ce qui se passe ?
- Il y a que cette fichue tente refuse de rester debout ! Monte-la nous ! lui ordonna-t-elle.
- Viens dormir avec nous plutôt ! lui proposa l’un des camarades d’Anthony avec lequel il partageait sa tente.
- Dans tes rêves …, grommela-t-elle.
- Tabatha ne vous aide pas ? s’enquit Anthony.
- Nous ne savons pas où elle est, lui répondit Lilian. Elle a juste dit qu’elle devait passer un coup de téléphone et nous ne l’avons pas revu depuis.
Mais il s’intéressait déjà aux piquets.
- Elle est tordu !
- Quoi ?
L’une des tiges qui supporte la structure. Vous voyez ? Elle finira toujours par tomber.
Effectivement. Elle était inutilisable dans cet état. Je me passai une main dans les cheveux, dépitée. Tout allait de travers. J’aperçus Tabatha qui sortait de derrière un arbre et qui rangeait quelque chose dans son sac – je supposai qu’il s’agissait de son portable.
- La tente n’est pas montée ? remarqua-t-elle.
Je trouvai cette remarque plutôt mal venue pour quelqu’un qui nous avait laissé faire tout le boulot.
- L’une des tiges est tordue, l’informa Anthony.
Elle lui prit des mains et l’examina.
- Elle est tordue, constata-t-elle à son tour. Tss !
Elle fronça de nouveau les sourcils.
- Il va falloir que vous demandiez une nouvelle tente, nous précisa le petit ami de Lilian.
- On va se débrouiller, lui rétorqua Tabatha sèchement. Tu peux t’en aller.
Anthony parut surpris mais ne répliqua rien – lui aussi devait être au courant de l’incident Hilton et tenir à la vie. Il s’exécuta et se préoccupa de sa propre habitation.
- Je vais le faire.
- Quoi ?
Tabatha se mit à rassembler les différentes parties de la structure de la tente.
- La … La tente ne tiendra jamais …, remarquai-je. La tige…
- Tu tiens vraiment à dormir sous la voûte céleste …
- Non ! Jade, si Tabatha peut monter la tente, laissons-la faire !
Je me demandai vraiment ce que Morgan Jones venait faire dans un stage pareil - Lilian ne m’avait pas expliqué quelles raisons la motivaient à ce point pour s’exiler en pleine nature. En tout cas elles devaient être excellentes.
En quelques minutes à peine, la tente fut installée et prête à l’emploi.
- Mais … et la tige ?
- Une broutille. Sortez vos sacs de couchage.
Une broutille. Puisqu’elle le disait !
Nous nous rendîmes ensuite aux douches après avoir dîné, histoire de nous débarrasser de toute la sueur de la journée. J’étais affreusement pudique et ce passage obligatoire me pétrifiait. Je finis néanmoins par enlever ma serviette en coton et par me placer sous le jet d’eau. Lilian et Morgan se trouvaient chacune à un de mes côtés et nous discutions tranquillement - bien que je me dépêchai pour repartir le plus vite possible. Je remarquai cependant un détail quelque peu étrange. Celle qui parmi nous toutes aurait dû avoir le moins de complexes à s’exhiber gardait contre elle sa serviette – Tabatha. Le dos collé au mur carrelé, elle semblait attendre. Elle ne nous prêtait pas la moindre attention, gardant les yeux dans le vague – j’en conclus qu’elle n’était pas en train de sournoisement nous mater.
Dès que la dernière trace de shampooing eut disparue de mes cheveux je quittai les douches, m’étant au préalable de nouveau enroulée de ma serviette et partis dans la pièce accolée où j’enfilai mon pyjama et me séchai les cheveux. Lilian et Morgan sortirent peu de temps après avec quelques autres filles tout en plaisantant. Il ne restait plus que deux ou trois adolescentes sous l’eau quand Tabatha retira l’unique tissu qui la recouvrait.
- Oh ! Mais c’est un vrai ? s’exclama une des filles restantes.
Toutes celles qui étaient en train de se rhabiller tournèrent la tête. Moi même, après quelques hésitations je finis par regarder. Et je le vis.
Son tatouage.
Tabatha en avait un dans le bas du dos, bien qu’il soit très étrange ou plutôt inhabituel – mais qu’est-ce qui ne l’était pas chez elle ? Il me semblait qu’il représentait une pièce d’échec, le roi ou la reine à en juger par la couronne qui trônait sur le dessus du pion, auquel pendait au bout d’une chaîne une autre couronne. Qu’est-ce qu’il signifiait ?
Elle passa très peu de temps sous la douche et nous rejoignit quelques minutes après que je sois entrée dans la tente avec mes camarades. A sa vue, je me demandai s’il était vraiment possible de rester élégante même en pyjama, parce que elle, elle l’était. Je me rappelai alors d’une chose primordiale qui répondait habituellement au doux nom de " bonbon " - j’en avais apporté un paquet pour les partager.
- Heu … Tabatha ? Tu … en veux un ?
Je sentis immédiatement le sang s’accumuler dans mes joues et je ne doutai pas de ressembler à une tomate mûre.
- … Oui. S’il te plaît …
Je lui tendis le paquet et la laissai choisir ses parfums.
- Banane ? … Ca existe comme parfum ? demanda-t-elle à la vue d’un des emballages.
- Oui … C’est plutôt bon, ajoutai-je.
- Je ne suis pas sûre qu’Alex connaisse …, chuchota-t-elle.
Je ne lui demandai pas qui était cet " Alex ", ayant l’impression qu’elle avait prononcé cette phrase plus pour elle que pour nous. Et pourtant j’aurai bien aimé le faire, j’étais étrangement attirée par elle. A quoi pouvait ressembler notre monde, notre société à travers ses yeux ?
Nous nous couchâmes tôt, totalement vidées par nos activités de la journée, et je sombrai dans le monde des songes. A mon grand étonnement je refis le même rêve que celui que j’avais fait une douzaine d’année plus tôt. Il était à la fois simple et compliqué, réel et impossible, rêve et cauchemar. Le début était simple. J’étais en train de jouer dans ma chambre avec ma sœur de deux ans ma cadette quand nous avions voulu nous rendre dans notre jardin. Je l’avais prise par la main et nous nous étions dirigées vers la porte-fenêtre vitrée. Je l’avais fait coulissé et nous étions sorties. Nous nous étions allongées dans l’herbe et nous avions fermé les yeux. J’écoutais tout, du piaillement des oiseaux aux pneus des voitures. Tout. Et j’étais passée de l’autre côté. Il n’y avait plus eu aucun bruit, juste c’est entêtant parfum que je n’arrivais pas à reconnaître. J’avais rouvert les yeux et m’étais étonnée que les herbes soient si hautes. Je m’étais relevée et à ce moment-là je m’étais aperçue que ma sœur n’était plus là. Il n’y avait qu’une vaste prairie verte qui s’étendait à perte de vue de tous les côtés, parsemée de tâches violettes. Il s’agissait en réalité de fleurs. A première vue on aurait dit des iris mais je remarquais vite qu’une autre petite fleur blanche se trouvait en son centre – cette fois on aurait dit du jasmin. J’en portais une à mon nez pour la respirer et confirmais ainsi mon hypothèse, c’était bien cette fleur que j’avais senti quand j’étais passée de l’autre côté. Car où étais-je ? Je m’étais mise à appeler ma sœur, ne sachant pas où elle était passée. J’avais commencé à paniquer, ne la voyant plus. J’avais bien essayé de l’appeler mais aucun son ne semblait pouvoir sortir de ma bouche. Et puis je l’avais vu. Une femme flottait, auréolée de lumière, vêtue d’une longue robe blanche. Elle s’était rapprochée de moi et j’avais pensé quelques instants qu’il s’agissait d’un ange. Etais-je donc morte ? La peur avait monté d’un cran. La jeune femme m’avait alors prise dans ses bras et j’avais remarqué qu’elle pleurait.
" Attends-la … S’il te plaît … Attends-la … Il faut que tu l’attendes … "
Elle m’avait regardé droit dans les yeux – je ne me souviens pas de son visage, ni même de l’expression qu’elle affichait mais je m’étais calmée immédiatement. Elle avait souri.
" Tu es la clef … Il faut que tu sois courageuse et que tu l’attendes … Il faut que tu restes en vie … Tu pourras permettre aux chaînes de se délier … Tu seras la première pièce …"
Que me disait-elle là ? Qui devais-je attendre ? Quelles chaînes devais-je délier ? Je ne comprenais absolument rien. Mais avant de pouvoir lui poser la moindre question elle avait disparu. Le noir avait bouché ma vue puis mon regard s’était posé sur celui de ma sœur." - Jade tu dors ? "
J’étais de nouveau dans ma chambre comme si je n’en étais jamais sortie et ma sœur était à côté de moi. Le rêve était fini.
Je regardai mon réveil. Il était une heure du matin. Ni plus ni moins. Et j’avais envie d’aller aux toilettes. Je m’étirai pour sortir de ma torpeur et entendis de petits halètements.
- Morgan ?
Je me rapprochai d’elle, c’était bien d’elle que provenait ce bruit.
- Ca ne va pas ?
Je m’approchai encore et me figeai. Elle était totalement trempée, pleine de sueur, les yeux exorbités.
- Ma tête …, souffla-t-elle.
Elle plaça son crâne entre ses mains.
- Le bruit … ARRETE LE BRUIT !
- Je … je vais chercher quelqu’un … Je me dépêche !
J’avais à peine touché la fermeture éclair de la tente pour pouvoir sortit que l’on me retint par l’épaule.
- Crois-moi, il vaudrait mieux ne pas prévenir les profs.
C’était Tabatha. Quand s’était-elle réveillée ? Je ne l’avais pas entendu se lever.
- Quoi ? Mais …Morgan … Je ne peux pas la laisser comme ça !
- Si je lui donne un truc pour qu’elle se calme tu me promets de ne prévenir personne et de te rendormir ?
- Heu …
- Alors ? Ma question est plutôt simple.
Je ne comprenais rien. Je remarquai alors qu’elle était tendue.
- D’a … D’accord …
- Très bien.
Elle fouilla dans son sac et en sortit une solution et une piqûre.
- Qu’est-ce que tu veux faire ? la coupai-je, paniquée.
- Ecoute, si c’est bien ce que je crois, votre infirmière ne pourra strictement rien faire pour elle.
Tandis qu’elle me disait ça, elle remplissait la seringue de la solution. Elle attrapa alors fermement le bras de mon amie et la piqua avec une précision de professionnel.
- Qu’est-ce qui se passe ? demanda une voix endormie.
Lilian venait de se réveiller.
- Mais … A quoi vous jouez ? Jade ! sonna-t-elle afin d’obtenir des explications.
J’étais paralysée.
- Elle va se calmer, dit simplement Tabatha.
Ce fut le cas. Les halètements de Morgan s’espacèrent, jusqu’à disparaître complètement. Elle sembla reprendre ses esprits.
- Attention ! hurla-t-elle.
Notre tente explosa au même moment. Nous fûmes toutes projetées à plusieurs mètres et quand nous retrouvâmes le sol nous fûmes aspergées de terre. Je toussotai de longues secondes et tentai de comprendre ce qu’il venait de se passer.
- Enfilez vos chaussures et une polaire.
Je me tournai vers Tabatha.
- Mais …
- Si tu tiens à la vie tu vas arrêter de réfléchir et te dépêcher de faire ce que je t’ai dit.
Alors j’arrêtai. Telle une machine, je cherchai à tâtons par mouvements saccadés mes baskets, projetées-elles aussi ainsi que ma veste de randonnée, heureuse que mes affaires n’aient pas été détruites. J’habillai également Morgan qui semblait encore être un peu dans les vapes sous l’effet du produit qu’on lui avait administré. Lilian fit de même. Prête, je regardai Tabatha qui fourrait divers ustensiles dans un sac à dos. Elle installa Morgan sur son dos et se retourna vers Lilian et moi.
- Maintenant vous allez me suivre et courir.
Et elle se mit en route tandis que, la peur au ventre, je la suivis.
Je ne sais pas si c’est dû à l’adrénaline qui faisait bouillonner mes veines mais je ne sentis pas la fatigue. Nous nous enfonçâmes dans la forêt, la végétation devenait à chaque pas plus dense, plus touffue et je dus placer mes mains devant mon visage pour ne pas être éborgné. Les branches me griffaient le visage et mes cheveux me gênaient. J’avais affreusement peur. Que se passait-il ? Personne n’avait donc entendu l’explosion ? Courir était-elle la meilleure solution pour se protéger ? Se protéger de quoi ? Que fuyions-nous ? Et ceux qui étaient toujours sur place ? Qu’allaient-ils devenir ? Ma respiration devenait haletante mais je m’efforçai de ne pas ralentir. Il ne fallait pas ralentir. Lilian nous suivait-elles toujours ? Je me contentai de fixer Morgan, toujours agrippée dans le dos de Tabatha et de suivre. Mais si elle s’était arrêter encore de route ? La peur me nouait l’estomac et je me sentis défaillir tellement elle devenait forte. Je ravalai mes larmes et continuai de courir.
Je vis Tabatha s’arrêter devant un arbre au tronc massif, à une certaine distance de nous malgré sa charge de cinquante kilos supplémentaires. J’arrivai et regardai derrière moi. Je ne remarquai pas Lilian tout de suite mais finis par distinguer sa silhouette qui se rapprochait.
- Je vais vous montez dans l’arbre, nous informa Tabatha. Le plus vite possible.
Sur ce, elle extirpa un grappin de son sac et en lança l’extrémité. Après s’être assurée qu’il était bien agrippé elle entama sa montée, Morgan sur le dos. Ce fut ensuite mon tour, puis celui de Lilian. Elle grimpa avec une étonnante rapidité, comme si la charge ne lui coûtait pas le moindre effort.
Lorsqu’elle nous eut toutes déposé sur deux grosses branches noueuses, elle nous expliqua la suite des opérations.
- Bon, maintenant vous n’allez pas bouger et surtout, ne rien dire.
Je tressaillis.
- Tu vas nous laisser toutes seules ? lui demanda Lilian, les larmes aux yeux.
- Pour le moment oui. Peut-être que certaines personnes viendront vous chercher plus tard mais sincèrement j’en doute. Néanmoins, si c’était le cas laissez-les agir, ils sauraient quoi faire.
J’avais bien envie de lui poser des dizaines, des centaines de questions qui se bousculaient dans ma tête mais n’y parvins pas - la peur m’en empêchait – et elle redescendit. Une fois en bas, elle se mit de nouveau à courir.
Je grelottai, comme mes amies. Lilian pleurait et Morgan lui murmurait des mots rassurants qu’elle ne pensait certainement pas mais qu’elle devait dire pour ne pas tomber dans la panique totale elle aussi, maintenant qu’elle était plus ou moins revenu à elle. Moi aussi les larmes roulaient sur mes joues. Ma bouche s’ouvrait, se refermait sans qu’aucun son n’en sorte. J’étais terrorisée. Je sursautai quand j’entendis une branche à craquer et tournai ma tête dans sa direction. J’ouvris grands mes yeux tandis qu’un arbre gigantesque s’écroulait avec fracas. Que se passait-il là-bas ? Je perçus d’autres bruits que je n’avais jusqu’alors pas remarqué, enfermée dans ma bulle. Des bruits de pas. Qui se rapprochaient. Toujours, toujours plus. Inexorablement.
Notre tronc bougea un grand coup. Je me penchai à sa base pour voir ce qui se passait et ouvrai grands mes yeux. Il y avait quelqu’un en bas. Recouvert, d’après ce que je pouvais voir dans cette nuit noire, d’une longue cape à capuche qui ne laissait pas à découvert un centimètre carré de peau. Je vis Morgan retenir un cri. L’être qui se trouvait sous nos pieds, à plusieurs mètres ne bougeait plus. Je compris pourquoi en voyant l’état de son dos, complètement défoncé par sa collision. Mais à l’instant même il se releva, comme si de rien n’était. … Qu’est-ce que c’était ? Il sortit de mon champ de vision à une vitesse effarante laissant une traînée de poussière derrière lui. Pour revenir à une vitesse encore plus grande une fois de plus contre le même tronc. Un être identique, revêtu de la même étrange cape l’y accompagna à quelques secondes d’intervalle nous faisant sursauter avec Lilian et Morgan une fois de plus. Nous nous étions serrées les unes contre les autres, instinctivement. Dans une tentative désespérée de nous rassurer.
Une autre personne les rejoignit dans la terre. Contrairement aux deux autres, qui venaient de se relever, il poussa un long gémissement de douleur. Une ombre se projeta sur lui.
- Je vous avais dit que vous n’aviez pas la moindre chance.
Je reconnus instantanément la voix de Tabatha, pleine d’une moquerie que je ne lui avais jamais entendu. Elle se rapprocha d’eux. Et je vis la queue et les oreilles de chat. Je n’eux pas le moment d’achever la question qui se posa automatiquement dans ma tête – l’un des deux attaquants qui s’étaient relevés fonçait vers Tabatha.
Elle ne fit pas un pas, se contenta de le dévier de sa trajectoire d’une simple tape qui l’envoya à plusieurs mètres. Elle avança d’un mètre.
- Vous vous éviteriez des souffrances inutiles en vous rendant maintenant, les prévint-elle.
- Parce que tu as l’intention de nous laisser en vie ? se moqua le seul blessé du groupe, également le seul à ne pas porter de cape.
- Non. J’aurai l’impression de faire une bonne action en vous éradiquant de la surface de cette terre.
Son ton était froid, cruel, sans la moindre once de pitié. Pire, j’avais l’impression qu’elle se moquait de lui. Ca la rendait terrifiante. La peur qui m’habitait à cet instant était la même que celle d’un herbivore devant un prédateur.
Son bras fendit l’air. Je compris qu’elle avait intercepté quelque chose.
- Une fléchette ? Bien essayé. Mais ça ne marche pas avec moi.
- Que tu crois …, souffla son adversaire.
- Qu… ? Aïe !
Je me mis aux aguets. Qu’est-ce qui avait arraché à Tabatha un "aïe" ? Elle laissa tomber dans l’herbe l’objet qu’elle avait arrêté un instant plus tôt.
- … Du poison ?
- Surprise ? Tu ne connais donc pas les fléchettes piégées et empoisonnées ?
Un silence lui répondit.
- J’en conclu que je reprends la partie en main !
L’homme qui était jusqu’à présent resté à terre se releva d’un coup et se précipita sur son adversaire, désormais affaibli. Tabatha l’esquiva, d’abord une fois puis à de multiples reprises, effectuant de nombreuses acrobaties aériennes avec une facilité déconcertante. Je remarquai néanmoins qu’elle ralentissait. Puis les deux êtres à capes l’attaquèrent à son tour. Je me remis à trembler, Tabatha ne contrôlait plus le jeu.
Elle finit par se retrouver le dos contre notre tronc, ses trois ennemis en face d’elle.
- Tu t’éviterais des souffrances inutiles en te rendant maintenant, la singea le chef du groupe.
La situation était plus que critique. Les secondes s’écoulaient, de plus en plus longues. Tabatha ne bougeait plus.
Des claquements secs retentirent.
Ses trois adversaires se retrouvèrent à terre, au même moment.
Derrière eux se tenaient deux nouvelles personnes dont je distinguai uniquement la silhouette.
Je paniquai, me demandant qui elles étaient. Amies ou ennemies ?
- Vous êtes là !
- Je tressaillis à l’entente de la voix de Tabatha. Elles semblaient être de notre côté.
- Tu ne peux même pas imaginer comme on s’est dépêché. J’ai cru qu’Alex ne tiendrait jamais jusqu’au bout.
- Ce n’est pas vrai ! C’est toi qui a failli t’écrouler en route !
J’identifiai les deux voix comme masculines, le deuxième intervenant ayant une voix plus aiguë que le premier.
- C’est rare de te voir dans une situation pareille …, reprit le premier. Qu’est-ce qui t’es arrivée ?
- Poison, répondit Tabatha. Je les avais légèrement sous-estimé.
- Tu as le nécessaire ? s’enquit le deuxième, visiblement inquiet.
- Occupe-toi plutôt d’elles. Elles sont dans cet arbre, là …
L’un des deux arrivants trottina jusqu’à nous et grimpa, tout comme Tabatha avec une grande facilité. Il se mit à califourchon sur la branche où je me trouvai et se traîna jusqu’à moi. Je ne vis toujours pas son visage avec précision alors qu’il n’était plus qu’à quelques centimètres de moi. Je me rapprochai du tronc.
- Dis … Elle est mignonne ? demanda-t-il.
- Oui, lui répondit l’autre voix masculine, la plus grave.
- J’ai de la chance alors !
A mon grand étonnement, il approcha son visage du mien et déposa un baiser sur ma joue. Il émanait de lui une odeur étonnement sucrée, mais pas désagréable qui me fit réagir quelques dixièmes de secondes trop tard. Je le repoussai violemment, espérant secrètement le faire tomber de la branche. Non seulement il ne s’écrasa pas en bas mais en plus il éclata de rire.
- Vraiment charmante ! Dis Tabatha, qu’est-ce qu’on en fait ? hoqueta-t-il entre deux éclats de rire.
- Fais-les descendre. Aide-le, ordonna Tabatha au garçon qui était resté près d’elle.
Je l’entendis monter à son tour. Il se chargea de Morgan, la chargeant sur son dos. Celui qui m’avait embrassé plaça Lilian de la même manière. Moi j’eus le privilège de me retrouver entre ses bras et s’il ne m’avait pas sauvé la vie je me serais débattue.
Je me retrouvai immédiatement sur la terre ferme. La fatigue accumulée jusque là se répandit alors dans mon corps et je m’écroulai. Morgan et Lilian firent de même. Il m’était impossible d’esquisser le moindre mouvement. Toutes les fibres de mon être me sommaient de dormir mais mon esprit ne le désirait pas. Je voulais savoir ce qu’il s’était passé et j’étais prête à patienter toute la nuit pour ça. Je fermai néanmoins les yeux pour me soulager un peu et soufflai. J’inspirai ensuite profondément pour me calmer. La tension qui m’avait habité jusqu’à il y a quelques minutes était encore présente. J’entendis Tabatha ouvrir son sac à dos.
- Tenez, administrez-leur, ordonna-t-elle à l’intention des garçons.
- Nous … administrez … quoi ? balbutiai-je.
Elle me maintenu le bras. Je compris ce qu’elle voulait faire le dixième de seconde avant que je ne sente l’aiguille me transpercer l’échine. Une vague de torpeur s’abattit sur moi.
Je vis clairement le visage de Tabatha au-dessus de moi.
- Qui es-tu ? lui demandais-je dans un élan de conscience.
- Un rêve Jade.
Je me réveillai en sursaut dans mon lit.
Lexique
Forêt Nationale d'Arapaho : Elle (en photo au début de chapitre) est localisée dans le centre nord du Colorado et a une aire d’environ 2 229 km2. Elle inclut une partie des hautes Rocheuses et la vallée fluviale dans la haut bassin du fleuve Colorado.
J'attends vos commentaires ... Le prochain chapitre sera néanmoins posté moins rapidement que les précédents car, si je veux conserver un chapitre d'avance, il me faut finir le chapitre 5 ... que je n'ai pas encore commmencé !