Je passai une écharpe chaude autour de mon cou et sortis de la maison. Comme je l’avais deviné, il faisait plus froid que les jours précédents. Je dégageai ma bouche et soufflai, rien que pour le plaisir de voir s’échapper la buée blanche.
En passant devant l’arrêt de bus, je fus tentée de l’emprunter pour pouvoir être au chaud mais au dernier moment, j’abandonnai cette idée – la planète ne s’en porterait que mieux.
- Jade ! Jade, Jade, Jade !
Qu’avait bien à me dire Karen qui pouvait nécessité qu’elle soit avant moi au lycée ?
- Tu sais, ton bouquin des rêves …, commença-t-elle.
- Quoi ?
- Tu te rappelles qu’il y a quelques jours tu t’étais amusée à me lire l’avenir avec ?
- Oui.
- Tu te souviens de ce qu’il m’avait prédit ?
- Non.
- Que si je me lançais je réussirai.
- Aah … Oui, effectivement, je m’en rappelle.
- Et bien cette nuit, j’ai rêvé de …
Elle s’empourpra aussitôt, réussissant ainsi à éveiller ma curiosité.
- De quoi ? insistai-je.
- Tu vas te moquer de moi …
- Allez, dis-moi tout. Tu sais que je n’aime pas le suspens !
Karen inspira un grand coup et vida son sac :
- D’Alexandre Evans !
Malgré moi, je sentis ma bouche méchamment déviée vers le bas. Moi aussi j’avais rêvé de lui cette nuit. Enfin, cauchemarder.
- Ca ne va pas ? s’inquiéta mon amie.
- Si, si ! Et donc … Quel rapport entre la prédiction et Alex … andre ?
J’avais failli l’appeler par son surnom – à force d’entendre tout le monde l’appeler comme ça – et cela aurait marqué une certaine marque de proximité entre nous. Et ça, il en était hors de question.
- Tu sais, je voulais inviter Darryl Foster, enfin, j’aurai voulu qu’il m’invite au bal de promo mais … finalement, je crois que je vais demander à Alexandre.
- Tu plaisantes ? m’écriai-je sans le vouloir.
- Je sais, je sais … je devrais attendre que ce soit lui qui le fasse mais … il ne me connaît même pas ! Il ne pensera jamais à m’inviter ! Et puis, ça fait fille indépendante et intrépide, ça devrait lui plaire, non ?
- Pourquoi donc ?
- Ben … Tabatha est un peu dans ce style-la alors …
Pauvre Karen. Si elle savait.
- Ils ont l’air d’être juste amis, tentai-je.
- Moui … Peut-être mais … non. T’as vu l’impression qu’ils donnent quand ils sont ensembles ?
Dans leur jargon, ça s’appellait " relation de reine à cavalier ". Mais impossible de le lui dire.
- Et s’il ne veut pas y aller avec toi ?
A la moue peinée et surprise de Karen, j’en déduisis qu’elle n’avait pas tout à fait envisager cette possibilité.
- Ben … Je demanderai à Darryl Foster.
Darryl Foster le bouche-trou. Pas sûr qu’il apprécie.
Je m’assis à ma place habituelle, à côté de mon amie, et plongeai dans un long monologue silencieux.
Alexandre Evans.
Le punk à l’âme de gosse qui avait voulu m’embrasser la veille. Je resserrai ma prise autour de mon stylo tandis que la scène repassait dans ma tête, ce qui me fit soupirer.
- Qu’est-ce qui se passe ? s’inquiéta Karen.
- Rien. C’est rien du tout.
Je tentai de me reconcentrer sur ce que disait le prof mais n’y parvins pas et abandonnai. Ce sale type m’avait, sans le vouloir cette fois, foutu en l’air ma journée.
J’avais failli mourir par crise cardiaque deux fois la veille. La première fois quand il avait eu l’excellente idée de se désaper, la deuxième quand il avait marqué le vif besoin de se faire rencontrer nos lèvres. A ces deux moments, j’avais bien cru que mon cœur allait me lâcher.
- Tu es sûre que ça va Jade ?
Surprise par la voix de Karen qui me tirait de mes pensées, je me tournai vers elle.
- Oui, pourquoi ?
- Tu es rouge, tu n’aurais pas de la fièvre ?
- Non, ne t’inquiète pas.
Je lui adressai un sourire que je voulais convaincant.
" Saleté de punk ", maugréai-je intérieurement.
Je me dépêchai d’enfiler ma tenue de sport puis attendis tranquillement Karen, que ses bavardages incessants ne faisaient pas avancer. Quand nous sortîmes enfin du vestiaire et que nous entrâmes à proprement parler dans le gymnase je crus me liquéfier sur place. Alexandre – et Malcolm – étaient là. Et malheureusement pour moi, il remarqua ma présence alors que j'aurai voulu passer inaperçue. Coup de chance, il ne m’adressa qu’un bref signe de la main dont personne ne parut s’apercevoir.
- T’as vu ? chuchota Karen. Je crois qu’Alexandre m’a fait un signe de la main !
Rectification : presque personne.
Je constatai au bout de quelques coups d’œil que contrairement à leur reine, les deux cavaliers s’étaient bien intégrés et étaient entourés de pas mal de monde – sûrement des gens qui partageaient leurs cours –, garçons et filles confondues. A la vue de ces dernières je ne pus réprimer un petit pincement au cœur que je tâchai d’ignorer. De plus, le fourbe avait revêtu un short laissant à nu ses jambes, fines et musclées, qui n’était pas sans conséquence sur le fort taux de présence féminine autour de lui.
- Le port de bijoux n’ait pas autorisé en cours d’éducation physique, lui rappela un prof de sport qui passait à proximité en fixant ses oreilles.
Alexandre se mit à tripoter nerveusement ses différentes paires de boucles d’oreille avant de se décider à les enlever.
- Jade ! m’appela alors mon amie en me donnant un coup de coude. C’est super ! Tous les élèves qui sont là vont faire sport ensemble !
Non. Ce n’était pas possible. Un tel niveau de poisse ne pouvait être que si la divinité quelconque qui siégeait quelque part sur son trône divin m’en voulait.
Les profs de sport nous firent signe, à nous élèves, de nous taire afin d’entendre les consignes : six équipes allaient être constitué et réparti sur les six terrains de volley-ball.
- Des volontaires pour être capitaine d’équipe ? demanda l’un des profs.
- Moi ! Moi, moi, moi ! s’exclama Alexandre au milieu de l’hilarité générale.
Quand les six capitaines d’équipe furent désignés – il s’agissait principalement de garçons – ils commencèrent à appeler les membres de leur équipe. Je sursautai à l’entente de mon nom.
- Jade Takano !
Evidemment, il fallait que ce soit lui qui m’appelle. Dès ce soir, je me faisais exorciser.
- Alors, contente d’être dans mon équipe ? s’enquit-il quand je l’eus rejoint.
- Pas plus que ça, grognai-je.
Il éclata de rire.
- En tout cas, on a un objectif, me confia-t-il en attendant son tour pour désigner un nouveau joueur.
- Lequel ?
- Battre Malcolm ! Si je ne gagne pas j’en attendrai parler pendant les dix prochaines années !
- Mais si tu gagnes ça sera lui qui en entendra parler pour la prochaine décennie.
- Tu n’as pas tort.
Je poussai un soupir, plus amusée que je n’aurai voulu l’être en sa compagnie suite à sa tentative d’embrassade. Heureusement que Tabatha avait été là !
- Zack Bell ! appela de nouveau le punk à tête blonde.
Je tiquai et me recroquevillai, souhaitant devenir invisible. Zack échangea avec un Alexandre une tape virile puis se rendit compte de ma présence et de ma faible tentative pour me fondre dans le paysage. Un sourire moqueur éclaira son visage.
- Jade … Ca faisait longtemps.
Je ne répondis rien, trop gênée, ce qui le fit rire, moqueur.
- Je ne savais pas que tu étais amie avec Evans, nota-t-il.
- Je … je ne suis pas vraiment amie avec lui …, bafouillai-je.
- Ah ouais ? D’où qu’il connaît ton nom alors ? Il t’a appelé " Jade Takano " ! Ca aurait déjà été miraculeux qu’il connaisse ton nom ou ton prénom mais là, les deux !
Si mon cœur était destiné à me lâcher, autant que ce soit maintenant. Ma gêne parut plaire à Zack.
- Bah ! Il aura vu ta tête et ton nom sur une poubelle, ne t’inquiète pas.
Je serrai les poings, blessée.
- Toi, c’est sûr qu’il aura vu ta sale tête et ton nom gravé sur la cuvette des WC.
Je tressaillis. C’était Tabatha ! Et elle ne semblait pas être dans ses meilleurs jours étant donné les imposantes cernes qu’elle avait sous les yeux. Mais ça, Zack le comprit aussi.
- Si j’étais toi, je déguerpirai rapidement, lui conseilla-t-elle avec une de ses esquisses de sourire qui la rendait plus menaçante que quand elle gardait un air impassible.
Sans demander son reste, Zack tourna les talons et la reine pesta.
- Tss … Je déteste les types dans son genre …
- Tabatha … Merci …, chuchotai-je.
Elle parut surprise mais reprit aussitôt sa mine renfrognée. Je remarquai qu’elle n’était pas en tenue de sport – que faisait-elle au gymnase ?
- Tu peux aller chercher Alex ? me pria-t-elle soudain.
- Euh … Bien sûr.
Je trottinai jusqu’à lui et lui désignai Tabatha du doigt. Il se déplaça tandis que je me contentai de l’observer de loin. Bien que je fus trop éloignée pour entendre ce qu’ils se disaient, la reine parut parler plutôt sèchement à Alexandre puis, comme pour conclure ses paroles, me jeta un regard plein de sous-entendu, bien que je ne sus déterminer s’il s’adressait vraiment à moi ou si ses yeux s’étaient posés sur moi par hasard. Tabatha repartit néanmoins aussi vite qu’elle était venue et Alexandre se dirigea vers son équipe.
Le punk avait une manière bien particulière de jouer au volley-ball. Si les majorités des mortels considéraient que c’était un jeu d’équipe, collectif … lui non. Il courrait sur tout le terrain et renvoyait la balle avec une puissance digne d’une personne qui en aurait fait dès son plus jeune âge en club. Autant dire que nos adversaires ne pouvaient pas grand chose. Si mes coéquipiers avaient d’abord protesté, après avoir constaté l’étrange efficacité de la tactique ils se contentaient maintenant de ne pas gêner leur capitaine dans ses déplacements. Quant à moi, mon seul soucis était de ne pas me retrouver à proximité de Zack – chose relativement difficile dans la mesure où nous étions concentré dans un seul terrain de volley. Heureusement pour moi, il s’était mis à l’exact opposé de la parcelle de terrain que je couvrais et ne faisait aucun mouvement laissant deviner qu’il avait l’intention de s’approcher de moi. Toutefois, je craignais qu’il ne veuille régler ses comptes après la dérouillée que lui avait mis Tabatha. Crainte qui se vérifia.
Je venais d’éviter " Alexandre la tornade " quand Zack avait soudainement voulu couvrir le fond du terrain. Je le regardai discrètement s’approcher, méfiante, et me demandai s’il valait mieux que je m’éloigne ou que je reste là où j’étais, pour défendre le peu de dignité qu’il m’avait laissé au fur et à mesure de ses persécutions. J’optai pour la seconde solution.
- D’abord, c’est Evans qui t’appelle par ton nom complet et ensuite c’est Tabatha Taylor qui vient à ta rescousse et qui discute avec toi …, commença-t-il.
Je ne répondis rien, ne pouvant pas contrer ses affirmations.
- D’où tu les connais ? poursuivit-il.
- Je … J’ai connu Tabatha à un stage organisé par le lycée … je … je suppose qu’elle a parlé de moi à Alexandre .
- Pourquoi elle aurait fait ça ?
- Mais … je ne sais pas …
- Moi, je crois surtout que tu te payes ma tête.
Sa voix avait pris des intonations menaçantes et je me raidis encore un peu plus. Le sifflet annonçant la fin du match retentit à cet instant et je m’échappai, rejoignant le reste de l’équipe, certaine que Zack ne s’en prendrait pas à moi en public – les fois où il s’en prenait à moi, nous étions toujours seuls.
Le match qui suivait était celui contre l’équipe de Malcolm, qui elle aussi n’avait pour le moment perdu aucun de ses matchs. Les deux cavaliers se défièrent du regard et affichaient un sourire moqueur. Aucun des deux n’avait l’intention de laisser la moindre occasion à l’autre de gagner. Je soupirai intérieurement, ce match n’allait pas être de tout repos.
Devant un adversaire de leur niveau, Alexandre et Malcolm révélaient tout leur potentiel et j’arrêtais rapidement de compter le nombre de joueurs qui se prirent la balle dans la figure, trop occupée moi même à l’éviter. Le terme de ce match cependant fut un splendide égalité, n’accordant ainsi la victoire à aucun des deux cavaliers ce qui, au final, était la seule solution pour éviter à l’un comme à l’autre des années de moqueries.
- Waouh ! Tu as vu comme Alexandre à jouer ! s’extasia Karen alors que nous rangions le matériel. C’est un vrai pro !
- Malcolm aussi à bien jouer, notai-je.
- Oui, oui, aussi mais … Alexandre ! Waouh ! répéta-t-elle.
Elle était complètement mordue et je devinai que j’allais devoir acheter quantité de paquets de mouchoirs quand ce dernier aurait repoussé ses avances. Mais … s’il ne le faisait pas ? A cette idée, je paniquai un peu mais me reprit vite. Car Karen devrait affronter la terrifiante et resplendissante Tabatha. Et je doutai qu’elle le ferait.
Je décidai de participer au rangement du gymnase jusqu’au bout et laissai mon amie rejoindre le vestiaire, pressée d’en finir avec la tâche accablante que constituait pour elle l’heure de sport.
- Merci encore Jade ! me remercia l’un des profs quand je quittai le gymnase.
Je lui adressai un petit sourire timide et me dépêchai de regagner le vestiaire. Malencontreusement toutefois, Zack me barrait le passage pour pouvoir le regagner. Sans m’arrêter et croiser son regard, je le dépassai mais il m’agrippa par le bras et me plaqua contre le mur.
- Ecoute-moi bien … chuchota-t-il. A cause de toi, on m’a foutu la honte.
Hé ! Combien de fois, lui, m’avait-il mis la honte ? Je serrai les poings.
- Je te préviens, tu n’as pas intérêt de parler de ça à Evans ou à Taylor, pigé ?
Il me scruta de ses yeux, menaçant, s’attendant sans doute à ce que j’approuve. Il pouvait toujours rêvé. Il appliqua sa main sur ma mâchoire et la pressa.
- Tu m’écoutes quand je te parle ? hurla-t-il. Tu M’ECOUTES ?
Je tentai de lui faire lâcher prise mais n’y parvins pas, il était plus fort que moi sur ce coup-la. Cependant, j’étais furieuse et bien décidée à ne pas me laisser faire – j’avais survécu à des évènements bien pires depuis quelques temps – je lui collai un bon coup de genoux dans les parties.
- Pétasse ! maugréa-t-il après un gémissement.
Malgré la douleur, il n’avait pas lâcher mon bras.
- Je vais te faire voir moi !
Alors qu’il s’apprêtait à me gifler, la voix des profs nous parvinrent. S’il ne voulait pas se faire prendre la main dans le sac – ou plutôt sur la joue – il valait mieux qu’il remette ses projets à plus tard.
- Tu paies rien pour attendre, me menaça-t-il.
Et il partit sans demander son reste.
Je pus de nouveau respirer et me dépêchai de rejoindre mon vestiaire. Quand j’enlevai mon tee-shirt, je remarquai les bleus que m’avait laissé Zack, et qui me firent l’effet d’un premier acte. Je redoutai le second.
- A ton avis, comment je dois m’y prendre ? J’y vais franco ou est-ce que je la joue mystérieuse et tout, et tout ?
J’étais en train de deviser avec Karen de la meilleure manière d’inviter Alexandre au bal quand on m’attrapa par derrière.
- Jaade ! Quelle merveilleuse façon tu as de jouer au volley ! Tu m’as scotché !
Je me retournai immédiatement et m’écriai :
- Alexandre !
Il afficha un sourire satisfait et se rendit compte de la présence de mon amie, la bouche grande ouverte et rouge comme une pivoine. Cela dû amuser le punk car il lui tendit la main et lui adressa un sourire irrésistible.
- Enchanté, je suis Alexandre Evans.
- Oh ! Euh … Moi c’est … Karen … Karen Parsons et heu … enchanté … aussi, bafouilla-t-elle elle en lui serrant la main.
- Dans ce cas, soyons amis Karen.
Et hop ! Un nouveau coup de sourire extra brillant. Comme si elle en avait besoin.
- Bien … bien sûr.
- Et je te présente Malcolm Lewis, mon meilleur ami.
Comme si Karen n’était pas déjà assez sous le choc, Malcolm en remit une couche en lui décochant un sourire ravageur. Non seulement les garçons étaient mignons mais en plus ils le savaient. Ma pauvre amie ne savait plus à quel saint se vouer.
- Vous avez fini votre matinée ? s’informa Alexandre en me regardant de nouveau.
- Oui.
- Vous partez manger ?
Je le sentais mal. Allait-il nous proposer de manger à sa table avec Malcolm et Tabatha ? Il devina ma méfiance et éclata de rire.
- Oui.
- Bon appétit alors !
Et ils s’éloignèrent. Karen les couva du regard et Malcolm, qui devait se douter qu’elle le ferait, se retourna et lui fit un clin d’œil. Je crus que mon amie allait tomber dans les vapes.
- Mais d’où tu les connais ? s’enquit-elle quand nous fûmes installées à une table dans le self.
- Ben … Ce sont des amies à Tabatha et comme on a été à un stage ensemble, qui plus est dans la même équipe… Elle a dû leur parler de moi.
- Tu as de ces relations ma vieille ! Tu es amie avec les deux plus beaux garçons du lycée !
- Seulement du lycée ? persiflai-je afin de changer le sujet de conversation.
- Non ! De … de la planète !
Je levai les yeux au ciel. Je devais néanmoins reconnaître qu’elle n’avait pas tout à fait tort.
" C’est bientôt fini, c’est bientôt fini, c’est bientôt fini … " me répétai-je lors de ma dernière heure de cours.
Driiiiiing !
Ni une ni deux, je remballai mes affaires et me précipitai hors de ma salle de cours. Ce soir, je devais recevoir un mail d’un de mes cousins canadiens qui m’avait promis de belles photos en pièces jointes et j’avais vraiment hâte de les voir et d’avoir de ses nouvelles. J’étais sur le seuil de l’entrée du lycée quand l’un des garçons de ma classe m’avait apostrophé :
- Hé ! Jade ! Le prof veut te voir !
Ma déception dû se voir sur mon visage quand je me retournai car il afficha un air désolé.
- Euh … Désolée de t’apporter des … mauvaises … nouvelles …
Il déglutit bruyamment et se dépêcha de détaler. Pour ma part, je soupirai et remontai avec paresse jusqu’à ma salle de cours.
J’ouvris la porte et passai ma tête. Personne. J’entrai, regardai autour de moi et levai un sourcil interrogateur. Le prof ne m’avait-il pas attendu ? Je m’apprêtai à sortir de la pièce quand je vis Zack sur le seuil de la porte, l’air mauvais.
- … !
Mais avant qu’un son ait pu sortir de ma bouche, il referma la porte. Je me précipitai dessus et m’essayai à l’ouvrir mais il ne céda pas. Et pour finir, il me boucla de l’extérieur – j’entendis distinctement le bruit de la clef dans la serrure.
- Zack ! protestai-je. Laisse-moi sortir !
Je tentai de faire céder la poignée avec la rage du désespoir.
- Zack ! Je veux sortir !
- Mais moi pas. Tu vas gentiment attendre ici.
Ainsi il ne m’avait pas abandonné à mon sort, j’aurai pensé qu’il se serait dépêcher de filer.
- C’est … c’est toi qui a demandé à Mark de me dire que le prof voulait me parler ?
- C’est évident, non ?
Je plaignis le pauvre garçon, aussi timide que moi. Il avait dû mourir de peur quand Zack lui avait demandé de lui rendre un " service ".
- Comment je vais sortir ? lui demandai-je.
- Je ne sais pas.
Décidément … Pourquoi restait-il ici ? Il allait finir par se faire choper ! Je fronçai les sourcils, commençant à trouver son attitude étrange.
Je me rappelai alors que j’avais mon sac de cours avec moi et, par conséquent, mon portable. Je m’empressai de le chercher dans mon sac puis me souvins que je l’avais laissé dans mon casier parce que, de toute manière, il n’avait plus de batterie.
- Zack …
- Ecoute, si tu ne te tais pas les pions vont finir par rappliquer et toute mon affaire tombera à l’eau.
- Ton affaire ?
- Si ça avait été moi, je t’aurai attendu au coin de ta rue, je t’aurai défoncé et je t’aurai laissé agoniser dans la rue. Par contre ça aurait été moins rentable.
" Affaire ", " rentable " …
- Quelqu’un t’a demandé de m’enfermer ?
- De t’immobiliser, rectifia-t-il. Un peu à l’écart .
- Qui ?
- Je sais pas. C’est pas un type du bahut.
Quoi ? Qui pouvait bien m’en vouloir en dehors de l’école ? Mon cœur se serra quand je me rappelai les paroles de Tabatha.
" Il faut que vous sachiez que la Rook Guild en a après vous. "
- Zack ! Il faut que tu me laisses partir ! C’est … c’est dangereux !
- Pour toi. Pour moi, c’est tout bénef’.
- Il faut que je parte ! … De toute manière, les femmes de ménage vont finir par venir.
- Il ne va plus tarder.
Bon, mon gardien n’avait pas l’air de vouloir coopérer. Il fallait que je me débrouille seule. Je m’approchai de la fenêtre mais, malheureusement, nous nous trouvions au deuxième étage et il n’y avait pas un arbre dont j’aurai pu m’aider pour descendre.
" Réfléchis, réfléchis … "
Il ne me restait plus qu’à briser une vitre. Je m’emparai d’une chaise et j’allais la faire passer par la fenêtre quand une voix retentit dans mon dos. Une voix charmeuse aux accents hypnotiques. La peur me fit lâcher ma chaise et je me retournai.
Le roi rook de la dernière fois. Stanislas.
J’avais beau ne l’avoir vu qu’une seule fois, de dos, je le reconnus instantanément.
Plutôt grand, mince, les cheveux châtains et court, un visage à tomber, il n’avait strictement rien à envier aux cavaliers knights de ma connaissance. Au moins aussi séduisant qu’eux. Les mains dans les poches de son jean il avait l’air on ne peut plus nonchalant mais il dégageait quelque chose de mystérieux et … d’inquiétant. Ses yeux bleus y étaient sans doute pour quelque chose. Je ne sus d’abord pas dire pourquoi mais je compris vite. De la glace. Ses yeux étaient en réalité de glace, pas à cause de leur couleur mais de leur consistance. En un certain sens, il me rappelait Tabatha. Elle avait les yeux aussi durs que de la pierre, à l’image de ses yeux émeraudes, il avait les yeux froids comme la calotte glaciaire.
- Jade … Takano, si je me souviens pas. Cela fait un moment que nous ne sommes pas vu… Te souviens-tu seulement de moi ?
Aucun risque que je l’oublis. Sa bouche se tordit en un sourire en coin affreusement séduisant et il rit doucement.
- Je dirai que oui, poursuivit-il.
- Qu … Qu’est-ce que vous me voulez ? finis-je par articuler, la gorge serrée.
Il ouvrit grand les yeux, surpris.
- Tu me vouvoies ? Ah … Tu veux dire moi … et la Rook Guild ?
Je me tendis encore plus et il parut le remarquer. Il rit encore une fois, tout aussi doucement.
- Calme-toi, je ne te veux aucun mal.
Comme si j’allais le croire ! A croire qu’il lisait dans mes pensées, il ajouta :
- Je te le jure. Tu es bien trop … précieuse.
Il avança d’un pas et je distinguai derrière lui, sur le pas de la porte, le corps inanimé de Zack.
- Vous … Tu l’as tué ?
- Non. J’ai ordre de ne pas laisser de trace pour une fois.
" Pour une fois " …
- Si tu fais bien tout ce que je te dis, crois-moi, il ne t’arrivera rien de fâcheux.
Il fit un nouveau pas.
- Ne t’approche pas …, chuchotai-je, apeurée et la bouche sèche.
Il s’approcha de nouveau et je me détournai aussitôt de sa trajectoire. Etrangement, ça ne parut pas le déranger outre mesure. Il se contenta d’ouvrir l’une des fenêtres et de se pencher.
- Killian ! appela-t-il.
C’était le nom de sa tour ! Je n’étais pas décidée à me laisser faire comme ça. Sans réfléchir, sans même penser qu’il n’aurait aucun mal à me rattraper, je courrais vers la sortie, où on m’attendait.
J’avais à peine fait un pas à l’extérieur de la salle que l’on m’avait attrapé par derrière et plaqué une main sur ma bouche. Sans le voir, je compris qu’il s’agissait de Killian. Je me débattis mais c’était comme si … c’était le mur qui me retenait.
- Hmmmh ! protestai-je.
Stanislas sortit de la pièce à son tour.
- Joli coup Killian ! On n’y va.
Il s’éloigna élégamment et, soudainement, la texture des bras qui m’enveloppait changea. Je n’avais plus l’impression d’être retenu par des bras de plâtres mais bien de chairs.
" Serait-ce … lié à son don ? " me demandai-je pendant une demie seconde.
Killian suivit son roi, laissant Zack à terre.
- Ne traîne pas Killian, le pria Stanislas. Les caméras de surveillance ne vont pas être interrompu éternellement … et la patience d’April non plus.
- Hé ho ! Si tu n’es pas content, tu n’as qu’à la prendre toi ! Elle se débat comme si sa vie en dépendait !
Parce que ce n’était pas le cas ? On nageait en plein délire !
- Je n’ai pas dit que je n’étais pas satisfait. C’était une simple constatation.
- Une constatation, une constatation …, grommela la tour. Je t’en mettrais moi, des constatations …
Plutôt que de maugréer, ils auraient mieux fait de se poser des questions. Comment espéraient-ils me faire sortir du lycée sans que personne ne s’en aperçoive ? C’était impossible !
J’obtins vite une réponse quand, après avoir crocheté la serrure, ils pénétrèrent dans un placard où les femmes de ménage rangeaient leur matériel. Ils refermèrent prestement le cagibi et Stanislas sortit quelque chose de ses poches, dans le noir je ne pus pas voir de quoi il s’agissait. Toujours est-il que l’instant d’après, nous nous trouvions à l’extérieur, à l’une des sorties du lycée, vide, et où patientait une limousine noire.
Je tentai de me dégager avec plus de vigueur qu’avant, sachant pertinemment qu’il ne fallait pas que je monte dans le véhicule si je voulais espérer recevoir une assistance quelconque. Je soulevai mes genoux et calai mes pieds contre la portière, de sorte qu’il était impossible de l’ouvrir.
- Hé ! Arrête de faire n’importe quoi ! me réprimanda la tour. Tu es déjà suffisamment pénible !
- Pff … Ecarte-toi Killian, lui ordonna le roi.
Mes pieds quittèrent la portière, que Stanislas ouvrit, et Killian me jeta tel un sac de patates à l’intérieur, sur les banquettes en cuir.
- Au secours ! hurlai-je, profitant de ce que la portière ne fut pas encore fermée. A l’ai … !
Trop tard !
- Vous savez combien de temps vous êtes partis ? cria une voix perçante. Cinq minutes et trente secondes ! Vous aviez dit cinq minutes !
Je remarquai alors la présence d’April, juste à côté de moi. La dernière fois que nous nous étions vues, enfin, la dernière fois qu’elle m’avait kidnappé, il faisait nuit et je n’avais pas eu l’occasion la voir en détails.
Elle avait un visage fin, une peau rose pâle, des yeux d’un bleu profond cernés de longs et épais cils noirs et de longs cheveux blonds qu’elle avait séparé en deux couettes qui descendaient jusqu’en haut de ses coudes. Sa tenue était plutôt inhabituelle et me faisait penser à certaines filles de mangas avec sa robe de gothic lolita.
- Qu’est-ce que vous avez foutu ? continua-t-elle.
- C’est Stanislas …, assura Killian. Il s’est encore amusé …
- Arrête de critiquer Stanislas ! rétorqua April. Je suis sûre que c’est de ta faute !
Stanislas poussa alors un profond soupir. Sans doute devait-il avoir l’habitude de ces longues disputes.
- John … Conduisez-nous à l’adresse que je vous ais indiqué tout à l’heure.
- Bien monsieur.
Je tentai d’ouvrir la portière mais, évidemment, on l’avait bloqué.
- Raté ! se moqua Stanislas.
Je lui adressai un regard que je voulais furieux et il rigola.
- Qu’est-ce que vous me voulez ? demandai-je. Je veux partir !
J’aurai tout aussi bien pu être invisible. April et Killian continuaient leurs jérémiades et le roi rook semblait perdu dans ses pensées.
- Je veux rentrer chez moi !
- Ta gueule ! me lança April entre deux insultes à la tour.
Sa réaction me raidit mais je n’allais pas gentiment m’arrêter.
- Tabatha et ses cavaliers vont venir ! assurai-je.
Mais, déjà, plus personne ne m’écoutait.
Je ne sus dire combien de temps la voiture resta immobilisée devant l’un des buildings de Denver, assez longtemps pour que la nuit tombe. Ma mère était partie avec ma sœur pour lui acheter de nouveaux vêtements à sa taille et mon frère devait aller jouer aux jeux vidéos chez un copain. Personne n’allait s’apercevoir de mon absence. J’espérais juste que mon père ne tarderait pas à rentrer de son travail.
Stanislas s’étira.
- Je vais y aller, il fait suffisamment sombre maintenant, annonça-t-il.
- Je te suis, poursuivit sa tour.
- N’oublie pas de rester à distance.
- Je viens avec …
- Non ! lancèrent les garçons à la requête inachevée d’April.
- Et pourquoi ?
- La dernière fois que je t’ai autorisé à venir avec nous, lui expliqua Stanislas, tu as persuadé Killian de t’aider à capturer les filles alors que l’on devait juste les observer. Contente-toi d’attendre l’hilico.
La jeune fille lança un juron silencieux et rabattit les bras sur son poitrine. Elle boudait.
Je sursautai lorsque Stanislas m’attrapa par le bras tandis qu’il tirait de sa poche de pantalon un miroir. Il déposa son pouce à sa surface et, l’instant d’après, j’étais au sommet du – je venais de m’en rendre compte – plus haut immeuble de la ville.
- Alors, belle vue ? plaisanta le roi rook.
- Que … Comment … ?
- Une porte miniaturisée. Une porte est …
- Je sais ce qu’est une porte, rétorquai-je. On me l’a expliqué.
Le jour où Alexandre avait improvisé un strip-tease. Aucun risque que j’oublie.
- Maintenant que nous sommes seuls, j’ai une question à te poser.
Il attendit que je réagisse mais j’étais plus occupée à me demander si j’arriverai à le pousser et le faire dégringoler du toit.
- Est-ce que tu es une immortelle ?
- Une quoi ?
Une immortelle ?
- Enfin … je me doute que si tu en fais partis, toi et tes deux camarades, tu ne me le diras pas mais … je n’ai pas pu m’empêcher de te poser la question.
- Je ne suis pas immortelle. Si je tombe de ce toit, je m’écrase et je meurs.
- Et alors ? A la Rook Guild, on suppose que, si vous ne vous êtes pas fait repérer jusque là, c’est parce que vous pouvez mourir mais que vous vous réincarnez par la suite.
- Mais pour quelles raisons serai-je immortelle ?
Une bourrasque de vent me frigorifia et fit voler mes cheveux. Au même moment, Stanislas évita une balle d’un coup de rein.
" Tabatha ! "
- Tes amis sont venus te chercher, ricana le roi.
- Et … Et ils vont te mettre la raclée de ta vie ! le menaçai-je.
Il éclata de rire.
- J’en doute !
Et sur ce, il me prit par la taille et me colla contre lui.
- Hé ! Non !
Il se rapprocha dangereusement du bord – un pas de plus et nous tombions dans le vide. Et il fit un pas.
- Tu es complètement fou ! On va mou … !
J’échappai un long hurlement quand le sol se déroba sous mes pieds.
Je crus que mon cœur allait s’échapper de ma cage thoracique quand soudain, nous repartîmes vers les sommets. J’osai ouvrir un œil et compris que, tel Spider Man, nous nous balancions au bout d’un fil – un câble dans notre version – dont l’extrémité était fixé sur le toit d’un immeuble. Immeuble dont nous n’allions pas tarder à rentrer en collision avec les vitres des bureaux qu’il abritait.
- Stooop ! Stooo… !
Stanislas nous réceptionna en douceur juste au-dessus d’une vitre et tira sur le câble, qui nous tracta jusqu’au sommet du building.
Mes jambes me lâchèrent quand il me déposa et je n’arrivai plus à respirer. Je réprimai un haut le cœur tandis que le roi, lui, se tenait bien droit sur ses deux longues jambes. Un autre coup de vent souleva sa chemise et je vis distinctement la tour de laquelle pendait le pendentif de Loreleï et la couronne. Son tatouage.
- Salutations ! lança alors Stanislas.
Je me tournai en direction de l’immeuble que nous venions de quitter et distinguai les silhouettes de Tabatha et de ses cavaliers.
- Elle est sous la protection de la Knight Guild ! lui apprit Tabatha. Par conséquent, tu me vois obliger de t’infliger la punition appropriée à ton crime.
- Laisse-moi deviner … La mort ? railla le roi. Comme si tu avais besoin d’une raison pour ça ! Je connais ta réputation !
Malcolm pointa le canon d’un pistolet dans la direction du rook.
- Fuis ! m’ordonna Alexandre de loin.
Faisant fi de mes tremblements, je me relevai et rejoignis l’escalier de secours, situé à l’opposé du bâtiment. Stanislas ne chercha pas à m’en empêcher et continuait à faire face à l’équipe knight. J’aurai pourtant dû commencer à comprendre qu’il s’agissait de ce genre de personne à ne rien faire au hasard. Killian m’attendait de nouveau.
Il m’empoigna et siffla. Un hélicoptère surgit de derrière un bâtiment, la portière grande ouverte, April au commande.
- Fais-la monter ! ordonna-t-elle.
Killian s’exécuta tout de suite et mes protestations ne changèrent pas grand chose. April manœuvra ensuite l’appareil pour qu’il se rende auprès de Stanislas. Je me collai à l’une des vitres et tambourinai de toutes mes forces. Il ne fallait surtout pas que les knights entreprennent de traverser la distance qui séparait les deux bâtiments ! C’était ce que voulait les rooks !
Malheureusement, Tabatha, Malcolm et Alexandre venaient de fixer l’extrémité de leur câble sur le toit où se tenait Stanislas et ils s’apprêtaient à franchir la distance qui séparait les deux bâtiments. Killian rouvrit la portière de l’hélicoptère, déroula une échelle tout en me maintenant à l’aide d’un seul bras à saine distance.
Quand l’équipe knight arriva sur le champ de bataille, Stanislas avait déjà monté quelques barreaux et l’engin volant avait pris suffisamment de hauteur – ce qu’il n’avait jamais cessé de faire – pour que mes alliés ne puissent pas espérer s’emparer de l’échelle à leur tour. Et ils ne pouvaient pas faire sauter l’hélicoptère en plein milieu de la ville.
Le roi, agrippé à l’échelle de fortune, fit un signe de la main à la reine.
- Hasta la vista beauté !
Malgré la nuit, je distinguai les deux yeux émeraudes de Tabatha et compris le message qu’ils renvoyaient.
Quand elle renverrait Stanislas, elle le tuerait.
Mais pour le moment, c’était moi qui me trouvait dans une situation délicate.
J’étais entre les mains de la Rook Guild.
Lexique
Gothic lolita : il s'agit d'une mode vestimentaire japonaise mais aussi une culture qui n'a que de lointains rapports avec la mode gothique occidentale. Ses caractéristiques générales sont les robes et jupes bouffantes, souvent avec une forme en cloche typique, agrémentées de jupons pour leur donner du volume, l'utilisation très courante de la dentelle et la présence d'accessoires comme des " pièces de tête ", des mini-couronnes, des mini-chapeaux, des rubans ou des fleurs artificielles. Les jupes sont généralement portées à la hauteur du genou et on porte soit des bottes élégantes, soit des plates-formes au design féminin, ou encore des souliers à bride.
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